Chronologie alternative, dite Fantasque Time Line (FTL)

Juin 1940

… … …

10 juin

Bataille de France

Face aux Allemands, sur tous les fronts, les troupes françaises luttent désespérément. Cependant, les mouvements de repli s’intensifient, sous des bombardements aériens qui ne se heurtent plus à aucune opposition cohérente. Certaines unités trouvent déjà les ponts prématurément coupés devant elles lorsqu’elles atteignent les lignes d’eau qu’elles sont censées défendre.

En Champagne, les blindés allemands s’engouffrent dans la brèche de Rethel et poussent sur la Rethourne. Au sud de l’Aisne est créé un “groupement cuirassé” avec la 3e DCR et la 7e DLM, sous le commandement du Général Buisson. Les blindés français parviennent à retarder quelque peu l’avancée du 39e PanzerKorps.

Sur le front de la VIe Armée, l’ennemi s’infiltre sur l’Ourcq et l’Aisne. Sur le front de la Xe Armée, les Allemands franchissent la Seine en plusieurs points, mais des unités françaises combattent toujours autour de St-Valéry (sur la côte de la Manche) avec les forces britanniques. Une partie du 9e Corps, isolée, est capturée, l’autre partie se replie sur le Havre, où l’opération “Cycle” permet d’évacuer 11 000 hommes.

Le GQG est transféré à Briare.

Paris

Weygand, commandant en chef des armées françaises, rencontre Reynaud, Président du Conseil, et De Gaulle, secrétaire d’État à la Guerre, en fin de matinée. Les divergences de vue entre eux paraissent définitives. Devant la défaite imminente, Weygand propose de se rendre. Le Président du Conseil persiste à mettre sa confiance dans le “réduit breton”. Weygand en a confié l’organisation au Général Altmayer junior, sans y croire cependant.

Par ailleurs, le gouvernement a décidé de quitter Paris pour Tours. Weygand fait savoir que Paris n’a pas de défense propre et qu’il convient de lui conserver un caractère de ville ouverte. Le Général Héring, qui commande l’Armée de Paris, donne l’ordre à tous les services publics et aux affectés spéciaux de rester sur place.

Reynaud fait appel au Président Roosevelt et lui demande d’intervenir dans la guerre en Europe.

Poitiers

Le gouvernement belge en exil en France réunit son Conseil des Ministres (voir annexe 40-1).

Norvège

La campagne prend fin avec l’évacuation des dernières troupes alliées.

Rome

Le comte Galeazzo Ciano, ministre italien des Affaires Étrangères, communique à l’Ambassadeur de France que « l’Italie se considérera en état de guerre avec la France à partir de demain, 11 juin, à 00h01. » Une déclaration de guerre analogue est remise à l’Ambassadeur de Grande-Bretagne. Par ailleurs, le gouvernement italien rompt les relations diplomatiques avec la Belgique, et prie l’Ambassadeur de Belgique, le Comte de Kerchove de Denterghem, de quitter le territoire italien.

Cependant, la décision de Mussolini d’entrer en guerre surprend non seulement la population, mais aussi l’Armée. À l’origine, le Duce n’avait pas prévu d’entrer en guerre avant 1942 ou 1943. Lorsque Hitler lui avait annoncé son intention d’attaquer la Pologne en 1939, il avait été scandalisé et avait adopté une politique de non-belligérance (à défaut de neutralité), allant même jusqu’à autoriser certaines entreprises italiennes (Caproni, par exemple) à vendre de l’armement à la Grande-Bretagne. Il avait commencé à changer d’opinion au mois de mars et décidé en avril d’entrer en guerre. Ciano lui avait pourtant signalé en février que seules dix divisions pouvaient être considérées comme prêtes et que les dépôts de munitions et d’équipement pour l’artillerie étaient à 8% de leur niveau théorique.

Jusqu’à la dernière minute, les généraux italiens ont donc supplié le Duce de repousser sa décision d’au moins deux semaines, si ce n’est quatre, car les forces italiennes ne sont absolument pas prêtes à faire la guerre. Placée devant la perspective d’affronter les Alliés sur deux fronts, l’armée d’Afrique n’a pas le moral. Le taux de disponibilité de ses avions et de ses blindés est très bas (parfois moins de 50%) et une partie des stocks militaires ont été renvoyés d’Afrique du Nord en Italie pour envahir l’Albanie en 1939.

Dans les airs, la Regia Aeronautica souffre de graves faiblesses. Certes, l’intérêt des unités de bombardiers-torpilleurs (Aerosiluranti) pour mener une guerre en Méditerranée a bien été perçu par l’état-major, mais ces unités ne seront pas prêtes avant la fin de l’année.

Seul point positif : la flotte est bien préparée et compte de nombreux navires, mais elle ne fait pas le poids face aux marines britannique et française combinées. La doctrine établie est donc celle d’une fleet in being (flotte “en existence”, exerçant une menace potentielle), qui ne doit mener d’actions offensives qu’avec ses forces légères.

Mais Mussolini, persuadé que l’effondrement de la France est imminent et que les Britanniques ne poursuivront pas la guerre tout seuls, a refusé tout délai. Lorsqu’il a finalement annoncé au Maréchal Badoglio que le pays entrerait en guerre le lendemain, celui-ci a sombrement répondu : « C’est le suicide de l’Italie. »

– Ne soyez pas si inquiet, a rétorqué Mussolini. Au prix de quelques milliers de morts, l’Italie va gagner un siège de premier ordre à la table de la nouvelle Europe !

Mer Rouge

Au petit matin, le vapeur italien Umbria se saborde au large de Port-Soudan. Lancé en 1911, l’Umbria avait été acheté en 1935 par le gouvernement italien et converti en transport de troupes. Pendant deux ans, il avait assuré l’acheminement de milliers de soldats dans les diverses colonies d’Afrique Orientale. Revendu à une compagnie privée, il continuait à faire l’aller-retour entre l’Italie et divers ports de la Méditerranée et de la Mer Rouge. Au mois de mai 1940, en prévision de l’effort de guerre à venir, il avait embarqué pour l’Afrique Orientale divers équipements et denrées dans les ports de Gênes, Livourne et Naples. 360 000 bombes, 60 caisses de détonateurs et d’autres équipements de même nature, pour un total de 8 600 tonnes, avaient aussi été embarquées, dans le plus grand secret. Arrivé à Port-Saïd le 3 juin, le navire avait été bloqué pendant trois jours par la Royal Navy, avant d’être finalement autorisé à repartir, car l’Italie était encore techniquement neutre.

L’Umbria était arrivé le 9 juin à proximité de Port-Soudan lorsque l’aviso HMS Grimsby, qui l’avait suivi à la trace, l’avait obligé à jeter l’ancre à proximité du rivage. Le croiseur léger HMNZS Leander, arrivé sur place dans l’après-midi, avait dépêché une vingtaine d’hommes pour inspecter le navire, en principe à la recherche de contrebande. Ces hommes avaient passé la nuit sur l’Umbria.

À l’aube du 10 juin, le capitaine italien, écoutant la radio, entend la déclaration de guerre de son pays à la France et à la Grande-Bretagne. Étant le seul à bord au courant de la nouvelle, il réussit à saborder son navire pratiquement sous le nez des marins britanniques.

Après la guerre, une équipe de démineurs examinera l’épave et signalera qu’une éventuelle explosion soufflerait la moitié de Port-Soudan, tout proche. Depuis, l’Umbria n’a pas bougé. Sa cargaison non plus…

Afrique Orientale Italienne

Quatre sous-marins partent immédiatement pour patrouiller devant les ports alliés de la région : le Macallè devant Port-Soudan, le Galvani devant Oman, le Ferraris devant Djibouti et le Galilei devant Aden.

11 juin

Bataille de France

Malgré quelques contre-attaques, la IVe Armée doit se replier pour s’aligner sur la VIe. Devant cette dernière, les blindés allemands ont forcé l’Ourcq et atteint Château-Thierry. La VIIe Armée se retire sur la position avancée de Paris. Face à la Xe armée, les Allemands ont pris Elbeuf et Les Andelys et atteint Louviers. Les troupes de von Kleist ont franchi la Marne. Reims ne va pas tarder à tomber.

Dans le port du Havre, où les raffineries ont été incendiées volontairement le 9, les flammes et la fumée créent une atmosphère d’apocalypse que l’on retrouvera à de nombreuses reprises aux quatre coins du monde dans les années suivantes. Cinq navires de commerce qui participent à l’évacuation (dont les Belges Albertville et Piriapolis) sont coulés par les Stukas et un sixième doit s’échouer. Le vieux cuirassé Paris, qui couvre la zone, est également endommagé.

À la frontière franco-italienne, on ne note pour le moment que des reconnaissances aériennes de part et d’autre. Malgré les mauvaises conditions météorologiques, un Fiat BR-20 du 43e Stormo (basé à Cameri) effectue une mission de reconnaissance sur Toulon et parvient à prendre de nombreuses photographies du port.

Tours

La France déclare la guerre à l’Italie, suivie par la Grande-Bretagne et ses colonies, Australie, Canada, Nouvelle-Zélande et Afrique du Sud.

Poitiers

9h30 – Le Gouvernement belge approuve la recommandation des Affaires Étrangères de ne se considérer en guerre avec l’Italie qu’à partir du moment où ce pays aura déclaré la guerre à la Belgique ou aura fait contre elle acte de belligérance.

Rome

11h00 – Le chef de cabinet du ministre italien des Affaires Etrangères, Filippo Anfuso, rencontre le comte de Kerchove, Ambassadeur de Belgique : « Pourriez-vous nous fixer sur le point de savoir si vous êtes fidèle au Roi ou au Gouvernement Pierlot ? »

Kerchove répond que les deux sont indissociables, et que vu l’impossibilité de régner du Roi, le Gouvernement exerce Ses pouvoirs en son nom : « Cependant, M. Anfuso, toutes ces questions relèvent exclusivement du droit belge et appartiennent au domaine de la politique intérieure de la Belgique, dans lequel les Puissance étrangères n’ont aucune qualité pour prendre position, émettre un avis ou prendre une décision. »

Le Comte Ciano lui-même intervient un peu plus tard : « Nous ne reconnaissons pas le Gouvernement Pierlot et, de plus, ce Gouvernement a son siège dans un pays qui est en guerre avec l’Allemagne et l’Italie. Dans ces conditions, il vous sera malheureusement impossible de continuer à résider en Italie. »

Briare

Conseil Suprême Interallié (d’après le procès-verbal rédigé par le capitaine de Margerie, secrétaire d’ambassade)

À 19 heures, une séance réunit notamment, côté français, Reynaud, Pétain, les Généraux Weygand, Georges et de Gaulle, et, côté britannique, Churchill, Anthony Eden et les Généraux Dyll et Spears.

Weygand fait un tableau de la situation : « Les hommes sont littéralement épuisés, ils se battent de jour, marchent de nuit et tombent endormis sur leurs nouvelles positions. Nous n’avons plus aucune réserve. Mais l’adversaire est très fatigué aussi, il peut être amené à s’arrêter faute de souffle. C’est peut-être le dernier quart d’heure. »

Churchill réaffirme sa décision de poursuivre la lutte. Il rappelle qu’au printemps de 1918, on était revenu d’une situation que tous croyaient perdue, annonce la mise en route de quatre divisions britanniques et affirme : « Si l’Armée française peut tenir, vingt à vingt-cinq divisions britanniques se trouveront à sa disposition au printemps 1941. » Réponse du Maréchal Pétain : « À l’époque à laquelle vous faites allusion, l’Angleterre avait été en état d’envoyer non pas trois ou quatre, mais d’abord vingt, puis quarante divisions sur le front ! »

Le Général Georges réclame une nouvelle fois l’engagement massif d’une grande quantité d’avions britanniques sur la Marne. Churchill refuse : « Ce serait une faute de disloquer le seul instrument de combat qui reste, pour apporter à la bataille de France une contribution insuffisante à modifier le bilan de la situation. »

– L’Histoire dira sans doute, conclut Reynaud, que la bataille de France aura été perdue faute d’aviation.

– Si l’Armée française se voit forcée d’interrompre la guerre, proclame Churchill, l’Angleterre continuera, espérant qu’Hitler sera ruiné par ses victoires mêmes. Dans tous les cas, l’Angleterre poursuivra la lutte, même si elle est envahie et connaît toutes les horreurs de la guerre sur son territoire. Avec son aviation et sa flotte, l’Empire pourra durer des années et imposer à l’Europe le blocus le plus sévère. Ce sera rapidement une guerre de continents. Il est possible que les Nazis dominent l’Europe, mais ce sera une Europe en révolte, et tout ne peut finir que par la chute d’un régime surtout soutenu par la victoire de ses machines.

– La détermination du gouvernement français n’est pas moindre, affirme Reynaud. Quel que soit l’aspect militaire de la question, le problème de la continuation de la guerre est d’ordre politique et relève des décisions du gouvernement.

Une opposition entre un camp Reynaud-De Gaulle et un camp Weygand-Pétain commence à se dessiner sur la volonté d’arrêter ou de poursuivre le combat.

Du côté britannique, une obsession commence à se manifester : il faut empêcher les Allemands de prendre le contrôle de la marine française.

Malte

Dans la nuit du 10 au 11 juin, des avions italiens décollent de Sicile et lancent leurs premières bombes sur Malte. Dans la journée, l’île verra huit autres incursions de l’aviation italienne.

Tunisie

La base aéronavale de Karouba est violemment bombardée par l’aviation italienne, mais aucun appareil n’est détruit.

Athènes

Face aux déclarations de Mussolini, le Général Alexandre Papagos, chef d’état-major de l’armée grecque, assure qu’il fera respecter la neutralité de son pays, si besoin par les armes.

Libye

Premiers raids aériens britanniques. Les jours suivants vont avoir lieu les premières escarmouches à la frontière avec l’Égypte.

Afrique Orientale

L’aviation italienne bombarde Port-Soudan et Aden, pendant que l’aviation britannique effectue des raids sur l’Erythrée.

12 juin

Londres

Le Négus, en exil à Londres, propose la participation de l’Éthiopie à la guerre contre l’Italie aux côtés des Alliés.

Bruxelles

Sous la pression de la Militärverwaltung (l’administration militaire allemande), qui menace de les mettre hors-jeu, le Collège des Secrétaires Généraux des ministères signe un protocole ayant trait à ses rapports avec les autorités d’occupation, dans l’espoir de conserver un maximum de leviers de décision entre des mains belges (le Parlement avait voté le 10 mai une loi leur déléguant certains pouvoirs exécutifs pour les territoires se trouvant sous occupation ennemie). Ce protocole comporte notamment les points suivants :

Les Secrétaires Généraux reconnaissent que les ordonnances édictées par l’occupant dans le cadre de la convention de La Haye doivent être exécutées comme des lois belges ;

Dans le cadre d’une interprétation large de la loi du 10 mai, à laquelle ils s’étaient d’abord opposés, les Secrétaires généraux acceptent qu’ils peuvent être amenés à prendre des arrêtés ayant force de loi « dans les cas urgents » ;

Les prescriptions légales prévues par les Secrétaires Généraux seront communiquées avant publication au chef de la Militärverwaltung ;

Certains domaines resteront en dehors du champ de compétence des Secrétaires généraux, notamment des modifications éventuelles aux lois linguistiques ou des décisions à caractère militaire. Dans ces cas-là, la Militärverwaltung devra prendre elle-même la responsabilité de prendre et exécuter de tels arrêtés.

Brest

Le 12 juin, l’Émile-Bertin s’élance pour un nouveau trajet Brest-Halifax (son précédent voyage date du 21 mai) avec 254 tonnes de lingots et pièces d’or. C’est un des nombreux convois qui doivent mettre en sécurité l’or de la Banque de France (voir annexe 29).

Bataille de France

En Champagne, Reims est prise, et plus à l’est, les blindés allemands ont atteint Bétheniville. Le 39e PanzerKorps de Guderian prend Châlons-sur-Marne sans résistance. La VIe Armée s’est ressoudée à la IVe sur la Marne. La VIIe se rétablit péniblement sur la position avancée de Paris. La Xe a perdu définitivement le contact avec le 9e Corps. St-Valéry est pris. Une grande partie de la 21e division britannique Highland est capturée. Les Allemands étendent leur large tête de pont au sud de la Seine. Ils traversent la Marne à Dormans et poussent sur Montmirail.

À Angevillers, dans l’Oise, les Allemands fusillent trente soldats sénégalais qui se sont pourtant rendus.

Sur les trente divisions tenant la ligne Weygand, 11 ne possèdent plus que 50 % de leurs effectifs, 13 sont réduites à 25 % et les autres ne sont que des débris. Devant la dislocation inéluctable de la dernière ligne de défense, la décentralisation des commandements est organisée pour que Groupes d’Armées et même Armées puissent combattre séparément, sur des axes généraux fixés. La rupture prévisible entre le front et la Région Fortifiée met impitoyablement en évidence l’absence quasi-totale de défense arrière de la Ligne Maginot. On envisage de l’évacuer après avoir mis hors d’usage le matériel qui ne pourrait être emporté. Weygand ordonne un repli général. Les trois DLM du corps de cavalerie sont chargées de couvrir la retraite des autres unités de l’Armée de Paris, en retardant le 15e PanzerKorps. La 4e DLM reçoit la même mission, mais pour la VIIe armée, qui retraite d’Épernay vers Meaux.

Paris est déclarée ville ouverte.

Sur les côtes du Cotentin, le vieux cuirassé Courbet bombarde les troupes de Rommel qui progressent difficilement vers Cherbourg.

En fin d’après-midi, un des six avions de transport Farman 224 que possède l’Armée de l’Air, non armé et sans escorte, est abattu par deux Messerschmitt Bf-110 ; il s’écrase dans la forêt de Rambouillet.

Un Fiat BR-20 du 7e Stormo (basé à Milan-Linate) effectue une reconnaissance sur les aérodromes du Cannet-des-Maures, de Cuers-Pierrefeu et d’Hyères et sur le port de Toulon. L’appareil est endommagé par la chasse française, mais il parvient à rejoindre l’aérodrome de Torre-Pallavicino.

Tours (Château du Muguet)

Conseil Suprême Interallié

Devant les nouvelles du front de plus en plus pessimistes, Churchill demande seulement que le gouvernement français ne prenne aucune décision définitive sans l’avoir revu. Au Général Georges qui lui dit qu’à bref délai, un armistice honorable sera le seul dénouement possible, il réaffirme la volonté de l’Angleterre de continuer la lutte.

Tours – Château de Cangé

Conseil des Ministres

Après un exposé de la situation militaire, le Général Weygand conclut : « Seule la cessation des hostilités pourrait sauver de l’invasion une partie importante du territoire national, et maintenir l’ordre et la cohésion dans les troupes décimées et harassées. Il faut donc que le gouvernement français adresse au gouvernement allemand une demande d’armistice. Tous les chefs commandant les Armées et Groupes d’Armée s’associent à cette requête. » Il est appuyé par le Maréchal Pétain et deux autres ministres. Le Maréchal Pétain critique les conditions de la déclaration de guerre (pénurie de matériel, inexistence de l’aviation française).

Le Président du Conseil se déclare opposé à cette idée : « La France est un Empire, réaffirme Reynaud, soutenu par d’autres membres du gouvernement. Si la Métropole est perdue, l’Empire la sauvera. Les Armées de mer et de l’air combattront aux côtés des forces britanniques. Les États-Unis enverront chars et avions. Le gouvernement se retirera dans le réduit breton pour diriger la bataille en liaison avec le gouvernement anglais. S’il ne peut s’y maintenir, il gagnera l’Afrique du Nord, et même l’Afrique Noire pour y attendre les concours qui donneront la victoire. Au reste, j’ai promis à Monsieur Churchill de ne rien décider sans l’avoir revu. Aucune décision ne sera donc prise auparavant. »

Méditerranée Occidentale

Les sous-marins mouilleurs de mines français posent des mines devant certains ports italiens (le Saphir devant Cagliari, le Nautilus devant Tripoli et le Turquoise devant Trapani).

Méditerranée Orientale

Les sous-marins italiens sont très actifs. Le Bagnolini coule le croiseur léger britannique Calypso au sud de la Crète. Plus à l’ouest, le Naiade coule le pétrolier norvégien Orkanger(8029 GRT). Enfin, le mouilleur de mines Pietro Micca place un champ de mines devant Alexandrie.

Tunisie

La base aéronavale de Karouba est à nouveau bombardée par l’aviation italienne. Cette fois, quatre hydravions Loire-70 de l’escadrille E7 sont détruits et un cinquième endommagé, sur les six que compte l’unité. Des LeO H-257bis seront envoyés pour les remplacer.

Libye

La canonnière italienne Berta est coulée dans le port de Tobrouk par des avions anglais.

Italie du Nord

Turin et Gênes sont bombardés par la RAF.

Rome

L’Italie rompt ses relations diplomatiques avec les Pays-Bas, dont la reine et le gouvernement sont réfugiés à Londres.

Égypte

Le pays rompt ses relations diplomatiques avec l’Italie.

Mer Rouge

Au début de la nuit, le sous-marin italien Ferraris est surpris en surface par au moins un destroyer britannique. Au cours de la plongée rapide, une fausse manœuvre provoque l’entrée d’eau de mer dans le local des accumulateurs, endommageant gravement les batteries. Le bateau peut cependant rentrer à Massaouah, mais il en a pour deux mois de remise en état. Le Ferraris est le premier, mais non le dernier, navire de la flotte d’AOI à expérimenter la lenteur des moyens de réparation locaux.

13 juin

États-Unis

Départ de l’Eastern Prince, premier cargo américain transportant des armes américaines destinées aux Britanniques. Roosevelt a en fait contourné les lois américaines sur la neutralité (Neutrality Laws) en ordonnant la “vente” d’armes et d’artillerie (issues des surplus de l’US Army) par son gouvernement à une société spécialisée dans l’acier, qui les a revendues au gouvernement britannique.

Par ailleurs, Roosevelt signe un projet de 1,3 milliard de dollars de constructions navales supplémentaires.

Bataille de France

Les Allemands accentuent leurs progrès sur Montmirail, l’Oise et la Basse-Seine et capturent Le Havre. Juste avant leur arrivée, le sous-marin La Créole, en voie d’achèvement, a été remorqué vers Cherbourg, puis Brest, Lorient, La Rochelle et enfin Swansea en Angleterre. Dans les chantiers navals de la région du Havre et de Rouen, plusieurs sous-marins en construction ont été sabordé ou abandonnés (voir annexe 40-2).

Le front tenu par le GA IV du Général Huntziger est rompu à Reims, Suippes et Châlons. Les Allemands se dirigent vers Évreux et vers Chartres. Leurs éléments avancés occupent Pantin et devraient entrer dans Paris le lendemain. La IVe Armée se replie de la Seine sur l’Aube, la VIe sur la Haute-Seine, la VIIe sur le Grand-Morin et l’Armée de Paris retraite sur Évreux.

Les Britanniques ne restent pas inactifs : la RAF reçoit la consigne de continuer à soutenir les armées françaises tant qu’elles se battent (tout en se préparant néanmoins à replier ses unités basées en France vers Nantes ou Bordeaux). Des raids de Battle et de Blenheim sont lancés contre les colonnes allemandes, non sans pertes. Les attaques se poursuivent de nuit et plus de 150 bombardiers lourds du Bomber Command frappent les alentours de Paris. Cependant, la chasse basée en Angleterre se contente de protéger les côtes britanniques.

Dans les Alpes, on ne note que des bombardements sans grands résultats. Les troupes italiennes postées sur la frontière française, commandées par le Prince Umberto de Piémont, chef du Corps Alpin italien, sont pourtant nombreuses : 22 divisions, dont quatre alpines, avec 312 000 hommes et 3 000 pièces d’artillerie. En face, les Français disposent dans ce secteur de six divisions, dont trois de forteresse, et d’unités de chasseurs alpins ; au total 175 000 hommes.

Les Italiens lancent enfin leur offensive aérienne, dont l’objectif est Toulon. Au petit matin, treize BR-20 (non escortés) du 13e Stormo (Plaisance) sont envoyés contre Toulon. Deux avions italiens sont endommagés par la DCA. Après des vols de reconnaissance sur Toulon et les aérodromes voisins, un autre raid est lancé. Auparavant, une force de bombardiers, précédés par des chasseurs, doit attaquer les aérodromes français pour neutraliser la chasse. 23 Fiat CR-42 du 23e Gruppo (Cervere) s’en prennent à l’aérodrome de Fayence, tandis qu’une attaque similaire est lancée contre l’aérodrome d’Hyères par le 151e Gruppo (Casabianca). Mais les chasseurs italiens sont en avance et les bombardiers sont en retard. Les chasseurs français décollent donc trop tard pour intercepter les CR-42 (qui sont déjà repartis après avoir mitraillé des avions au sol), mais juste à temps pour tomber sur les bombardiers venus les attaquer. L’escadrille de l’Adjudant Le Gloan (GC III/6 de l’Armée de l’Air) abat deux avions italiens près de Hyères. En revanche, la deuxième partie du plan fonctionne : il n’y a plus de chasseurs français pour intercepter les 19 BR-20 (non escortés) du 13e Stormo envoyés à nouveau contre Toulon, défendue par une intense DCA. Mais aucun dégât n’est infligé aux navires ancrés dans la rade.

Tours – Préfecture (14h00)

Conseil Suprême Interallié

En l’absence des “militaires”, les “politiques” s’accordent entre eux. Du côté britannique, Churchill, lord Halifax et lord Beaverbrook, et du côté français, les présidents de la Chambre et du Sénat, ainsi que Mandel, confortent Reynaud sur une position de résistance à outrance à l’envahisseur. Reynaud télégraphie à Roosevelt pour lui demander de « jeter dans la balance le poids de la puissance américaine afin de sauver la France, sentinelle avancée de la démocratie. »

Tours – Château de Cangé (17h30)

Conseil des Ministres (d’après le procès-verbal officiel)

Paul Reynaud informe ses collègues qu’il vient de tenir avec Churchill à la Préfecture de Tours une réunion du Conseil Suprême où il a annoncé la décision du gouvernement français de continuer la lutte, et que les Britanniques sont repartis pour Londres, emportant le témoignage d’un complet accord entre les deux gouvernements.

Bouthillier, ministre des Finances, « regrette que la promesse qui avait été faite de faire entendre Churchill par le Conseil n’ait pas été tenue et que M. Reynaud ait fait part au Premier Ministre anglais d’une décision que le gouvernement n’avait pas prise. » Camille Chautemps regrette lui aussi que le Président du Conseil ait pris seul « la responsabilité d’une décision qui engage le gouvernement dans son ensemble. »

– M. Churchill était pressé de rentrer en Angleterre, répond Reynaud, et il ne m’appartenait pas de disposer de sa personne.

Albert Lebrun, Président de la République, est contraint d’apaiser le conflit naissant.

Paul Reynaud annonce alors qu’il a télégraphié au Président Roosevelt pour lui demander l’entrée en guerre immédiate des États-Unis. Le Conseil saisit au vol ce prétexte au vol pour “décider” qu’il convient d’attendre une réponse de Roosevelt pour se déterminer. Le coup de force de Reynaud a échoué.

Weygand réitère alors sa demande de cessation des hostilités, et propose de profiter de l’attente de la réponse américaine pour mettre la flotte française à l’abri dans les ports d’Afrique du Nord. Une discussion houleuse s’engage sur le sort de la flotte, que Darlan conclut en déclarant que la question est de son ressort exclusif.

La séance est interrompue par une communication du ministère de la Marine faisant état de la constitution d’un gouvernement communiste à Paris et du désarmement de la police et de la Garde républicaine. Il faut joindre le Général Dentz et le préfet de Police Langeron au téléphone pour apporter un démenti catégorique à cette information.

Le gouvernement décide de se replier à Bordeaux. Après une discussion confuse, Weygand se voit confirmer qu’il faut continuer à travailler au réduit breton, avec les débris de Dunkerque, les troupes rentrant de Norvège et les divisions britanniques annoncées. Dans le même temps, le Maréchal Pétain lui fait passer une note qu’il a l’intention de lire bientôt aux ministres et qui souligne dans les termes les plus nets la nécessité de mettre fin aux hostilités.

Tours (dans la nuit du 13 au 14 juin)

L’Amirauté transmet au Général de Gaulle, secrétaire d’État à la Guerre, une étude (commandée le 12 juin) sur les possibilités de transporter 900 000 hommes en Afrique du Nord, dont 750 000 affectés spéciaux (qui sont des spécialistes – ingénieurs, techniciens – maintenus à leur poste civil et soumis à la juridiction militaire) et 150 000 recrues. Ce rapport envisage plusieurs possibilités (Bordeaux-Casablanca, Marseille-Oran, utilisation d’une partie du tonnage pour transporter du fret). Il conclut que l’opération est irréalisable dans les délais prescrits, et de toutes façons « nuisible au ravitaillement du pays ». Les moyens nécessaires en bâtiments de transport pour effectuer cette opération dans les délais sont hors de proportion avec les ressources françaises et même alliées. Les moyens d’escorte sont insuffisants pour assurer la protection de tels convois. L’Amirauté « refuse d’estimer les conséquences d’une telle opération sur les relations commerciales et le fonctionnement des ports, qui ne pourraient être utilisés à d’autres fins pendant toute l’opération, et même peut-être après, car les stocks de combustibles dans ces ports seraient probablement très réduits. »

L’Amirauté ne s’est apparemment pas demandé à qui pourraient par la suite servir les ports en question.

Méditerranée Occidentale

Deux Cant Z.501 attaquent le sous-marin français Archimède, lançant quatre bombes. Les Italiens revendiquent la destruction du submersible, mais celui-ci sort indemne de l’escarmouche.

Au large du cap Palos, le sous-marin italien Dandolo repère une escadre française composée de trois croiseurs et plusieurs contre-torpilleurs. Il lance deux torpilles contre le croiseur Jean-de-Vienne, qui réussit à les éviter.

Îles Kerkennah (au large de Sfax, en Tunisie)

Le sous-marin français Morse est perdu après avoir sauté sur une mine, française elle aussi. La date du naufrage n’est pas connue avec précision (probablement entre le 13 et le 16).

Tunisie

Deux terrains d’aviation sont attaqués par des SM-79 italiens venus de Sicile.

Madrid

Le Conseil des Ministres espagnol décide de faire passer l’Espagne de la neutralité à la “non-belligérance”.

Norvège

Le gouvernement norvégien, exilé à Londres, rompt ses relations diplomatiques avec l’Italie, sans toutefois lui déclarer formellement la guerre.

Rome

En réponse à un mémorandum que lui a envoyé l’Ambassadeur de Belgique sur sa position à l’égard du Roi et du Gouvernement belge, Anfuso écrit à Kerchove : « Le Gouvernement italien estime que le Gouvernement actuel présidé par M. Pierlot n’a pas les qualités nécessaires pour être considéré, au point de vue international, comme Gouvernement belge et ne peut être reconnu tel quel par l’Italie. Ce que je vous ai dit n’avait aucune autre signification ni aucune autre portée. En tant que représentant de S.M. le Roi des Belges, le Gouvernement italien vous a considéré comme son Ambassadeur ; il ne peut vous considérer comme tel si vous êtes le représentant d’un Gouvernement que l’Italie n’entend pas reconnaître. Ce qui n’a rien à voir avec vos sentiments de loyauté envers votre Auguste Souverain.

L’attitude que nous venons d’adopter n’équivaut pas, à notre avis, à une rupture des relations diplomatiques entre l’Italie et la Belgique qui, dans les relations internationales, est personnifiée par son Souverain. C’est tellement vrai que l’Italie n’a pas rappelé et n’entend pas rappeler de Bruxelles son Ambassadeur, ni confier à d’autres États la tutelle de ses propres intérêts dans les territoires qui se trouvent sous la souveraineté de S.M. le Roi des Belges. »

Moscou

L’URSS exige de la Lettonie la formation d’un nouveau gouvernement prêt à assurer « l’application du pacte d’assistance » entre les deux pays.

Molotov signale à l’ambassadeur d’Allemagne que l’URSS exigera dans les prochains jours que la Roumanie lui cède la Bessarabie et la Bucovine du nord.

14 juin

Bataille de France

Les Allemands font leur entrée dans Paris.

La Wehrmacht progresse encore aux deux ailes de l’offensive. La Xe Armée est rejetée de la Risle, la VIIe et l’Armée de Paris se replient sur la Loire et se préparent à défendre les ponts. En Champagne, les Allemands franchissent l’Aube. Le G.A. IV est rejeté sur Troyes et Saint-Dizier, puis Troyes est atteinte.

Les blindés allemands ont le champ libre. Les 39e et 41e PanzerKorps basculent à l’est pour bloquer la retraite des garnisons de la ligne Maginot. Celle-ci est percée en quelques points au sud de Sarrebruck par le Groupe d’Armées C lors de l’opération “Tiger”. Toutefois, la 1ère Armée du Général von Witzleben, en dépit de gros moyens terrestres et aériens, subit de lourdes pertes entre Saint-Avold et Sarralbe.

Dans la région de Nevers, ce qui reste de la 7e DLM, qui a perdu la plupart de ses chars et auto-mitrailleuses, tente de se replier vers le sud. Une de ses unités encore en état de combattre, comportant plusieurs side-cars, dix chars et un peloton d’infanterie motorisée, rencontre et écrase facilement quelques éléments de reconnaissance allemands. Mais ceux-ci ne sont que l’avant-garde du 14e PanzerKorps. L’unité parvient à contenir deux bataillons de chars allemands pendant plusieurs heures, détruisant plusieurs blindés ennemis, avant de succomber. Le sacrifice de ces hommes permet au reste de la 7e DLM et aux troupes que celle-ci couvre de traverser la Loire en sécurité.

À Damville, deux escadrons de Dragons Portés, soutenus par des chars Somua S-35 de la 3e DLM, anéantissent une colonne motorisée allemande trop avancée.

L’aviation anglaise continue son effort, malgré le mauvais temps. Dix squadrons de chasseurs mènent des patrouilles ou des escortes, principalement au sud de la Seine, où se trouvent des troupes britanniques. C’est le plus gros effort mené depuis Dunkerque, mais peu d’avions allemands sont rencontrés. 24 Blenheim bombardent le terrain d’aviation de Merville, tandis que les bombardiers lourds attaquent de nuit des gares de triage en Allemagne et des zones de la Forêt Noire sur les arrières de l’armée allemande ; d’autres bombardiers larguent des mines dérivantes dans le Rhin.

Les unités britanniques (Division Evans, deux brigades de la Division Beauman, les débris de la 1ère Division Blindée et la 157e Brigade de la 52e Division) combattent avec la Xe Armée française. D’autres troupes (les deux autres brigades de la 52e Division et les éléments de tête de la 1ère Division Canadienne) sont débarquées en Bretagne en vue de la reconstitution du BEF sous le commandement du Général Brooke.

Churchill et l’état-major anglais ont toutefois déjà pris la décision de préparer le repli de leurs troupes et de leurs avions. C’est le début de l’opération Aerial, qui doit évacuer les soldats britanniques sur toute la façade atlantique. Il s’agit aussi d’évacuer les stocks et l’équipement, car les pertes durant la première partie de la Bataille de France ont été très importantes, et de saboter les installations. L’Amiral James, responsable de l’opération, ne dispose pas des escorteurs nécessaires pour organiser des convois, aussi c’est un flot continu de navires de toutes sortes qui convergera vers les ports français, tandis que les quelques navires de guerre disponibles patrouilleront le long des routes de navigation. La Luftwaffe ne peut pas intervenir en force, ce qui est heureux, car certains navires utilisés sont très vulnérables. Elle doit se contenter de larguer des mines devant les ports.

Au-dessus du sud de la France, les conditions météorologiques très défavorables empêchent toute activité aérienne.

La Rochelle

Une petite flottille belge accoste. Elle doit en théorie participer au dragage des mines mouillées par les avions allemands devant le port.

Méditerranée Occidentale

Une escadre de la Marine Nationale (MN) commandée par l’Amiral Duplat prend la direction de la côte ligure. Les sous-marins Iris, Vénuset Pallas font barrage devant La Spezia, tandis que l’Archimède couvre le passage Gorgone-Capraia. Les escadrilles AB2 et AB4 doivent fournir une protection à distance contre les navires italiens (qui ne se montreront pas), les escadrilles AB3 et HS5 sont chargées de la protection anti-sous-marine, tandis que les escadrilles de chasse AC3 et GC III/6 doivent assurer la couverture aérienne (mais les CR-42 de la 85e Squadriglia n’interviendront pas).

Au petit matin, quatre Chance-Vought 156F (SB2U Vindicator en dénomination américaine) de l’escadrille AB3 surprennent le sous-marin italien Gondar. Celui-ci navigue en surface vers La Spezia, au terme d’une mission de surveillance des routes d’accès au golfe de Gênes, mission à laquelle participent également les sous-marins Neghelli, Ettore Fieramosca et Mocenigo. Le Gondar, plongeant en urgence, évite quatre bombes.

Le groupe “Gênes” (croiseurs lourds Dupleix et Colbert, contre-torpilleurs Vautour, Albatros, Guépard, Valmy et Verdun) bombarde les installations pétrolières de Gênes, sans grand résultat, mais l’Albatros est endommagé par un obus italien. Le groupe “Vado” (croiseurs lourds Algérie et Foch, contre-torpilleurs Vauban, Lion, Aigle, Tartu, Chevalier-Paul et Cassard) a reçu l’ordre de s’en prendre à d’autres objectifs situés à Vado, Savone, Albissola, Zinola et Quiliano. L’Algérieouvre le feu à une distance de 14 500 m et touche les réservoirs de combustible de Vado, qui prennent feu, en dégageant une fumée intense, tandis que le Foch vise les industries métallurgiques situées dans cette même ville. Le train armé 120/3/S (4 canons de 120/45 mm), posté à Albissola (entre Savone et Gênes), tire 93 obus sur les navires français. Ses obus et/ou ceux d’au moins une batterie côtière encadrent l’Algérie, très légèrement endommagé par des éclats. L’Aigle intervient pour faire taire la batterie côtière.

Cette opération, sans résultat marquant, dissuade toutefois la Marine italienne de faire sortir ses grands navires pour perturber le trafic français entre les ports du sud de la France et ceux du nord de l’Afrique. Les avions de l’Aéronavale mèneront à bien une attaque de nuit sur Gênes, Vado et Savone et seront pris à partie au retour par des avions italiens.

Méditerranée Centrale

Le sous-marin britannique Odin est coulé au canon et à la torpille dans le golfe de Tarente par les destroyers italiens Strale et Baleno.

Italie du Nord

À Turin, devant une foule très importante, Mussolini prononce un discours au cours duquel il proclame que « Nice sera à nous ! » Mais si quelques militants fascistes scandent « Nice, Nice ! », une grande partie des participants couvrent la voix du Duce en criant « Pace, pace ! » (la paix, la paix).

Briare – Grand Quartier Général français

Après l’avis officiel du transfert du gouvernement à Bordeaux, il est décidé de replier le GQG à Vichy.

Alors même que les Généraux Weygand, Georges et Brooke signent un protocole d’accord sur l’emploi des troupes britanniques dans l’organisation du réduit breton, une note de Pétain à Weygand lui signale que « (…) le Maréchal considère que l’extrême délai pour prendre parti est demain, samedi, à midi. Il est question pour ce faire de réunir un Conseil des Ministres à la fin de la matinée. »

Bordeaux

Dès l’arrivée du gouvernement, de l’Assemblée et du Sénat, le Maréchal Pétain, Ministre de la Guerre, commence ses discussions avec divers parlementaires, pour préparer ce qu’il faut bien appeler sa prise de pouvoir et la demande d’armistice.

C’est là qu’intervient le Point de Divergence…

Georges Mandel, Ministre de l’Intérieur, est informé des intentions de Pétain et réagit. Dans la nuit du 14 au 15, il rencontre Paul Reynaud : « Monsieur le Président du Conseil, il n’est pas possible qu’un républicain tel que vous capitule devant l’intrigue politicarde et l’ambition d’un militaire atteint par la limite d’âge, fût-il Maréchal ! »

Poitiers

Le gouvernement belge, devant l’évolution de la situation, se prépare à partir pour Londres (voir annexe 40-1).

Maroc

Les troupes franquistes occupent la zone internationale de Tanger.

15 juin

Washington

Un nouveau projet de loi pour la Marine est approuvé. Celui-ci apporte un élargissement important des groupes aériens de la Navy, avec 10 000 avions et 16 000 hommes d’équipage supplémentaires.

Bataille de France

Le 14e PanzerKorps se porte au sud-ouest, sur la Loire, afin de couper la retraite des forces françaises qui se replient sur Bordeaux.

À Ablis, au sud-ouest de Paris, trois compagnies établissent leurs positions afin de stopper l’avance allemande, pour permettre à plusieurs régiments d’infanterie en retraite d’établir une hypothétique ligne de résistance durable sur la Loire. Très vite, les troupes françaises sont soumises à une attaque massive d’engins blindés et d’infanterie. Pourtant, la défense tient jusqu’au lendemain, en particulier le 4e Régiment de Tirailleurs Tunisiens, qui se bat jusqu’à épuisement de ses moyens en hommes et en munitions.

Si le GA III continue à se replier sans trop de presse jusque vers Sens, la Xe Armée doit reculer vers la Dive. Le 16e PzK se dirige au sud-est, vers Dijon et Lyon, pour prendre à revers les défenses des Alpes. Les 39e et 41e PzK continuent leur progression vers Langres et la Suisse. Strasbourg et Verdun sont occupées, Gray et Vesoul sont atteintes. Des batailles de chars sporadiques ont lieu à l’est de Paris entre la Marne et la Seine.

Les premières évacuations de soldats britanniques et canadiens commencent à Cherbourg et Saint-Malo (plus de 50 000 hommes seront évacués par ces ports). Seule la 157e Brigade se bat encore aux côtés des Français. La Luftwaffe est cependant tenue en respect par les avions anglais ; aucun navire n’est perdu et aucune perte n’est à déplorer.

En représailles au raid de la veille sur Gênes et Vado, l’aviation italienne lance une attaque importante sur les aérodromes français.

27 Fiat CR-42 du 150e Gruppo (Turin-Caselle) attaquent Cuers-Pierrefeu, où les chasseurs français de l’AC3 sont surpris au décollage : deux Bloch MB-151 sont détruits et quatre autres endommagés sérieusement (deux seront réformés), mais l’un d’eux percute alors volontairement un avion italien, tandis qu’un autre CR-42 est obligé d’atterrir suite à des ennuis mécaniques (il sera capturé).

25 CR-42 du 23e Gruppo (Cervere) couvrent des BR-20 qui s’en prennent à l’aérodrome du Cannet-des-Maures, tandis que 25 autres CR-42 du 18e Gruppo (Novi-Ligure et Albenga) effectuent quant à eux des missions de chasse libre aux alentours des aérodromes attaqués.

L’Armée de l’Air réagit : une patrouille française de Dewoitine 520 du GC III/6, emmenée par l’Adjudant Le Gloan au-dessus de Saint-Tropez, tombe sur les CR-42 en couverture. Quatre chasseurs italiens, ainsi qu’un BR-20 isolé, sont abattus. Mais un D-520 a été détruit et deux autres endommagés sur le terrain du GC III/6 (à Luc), et six Chance-Vought 156F de l’AB3 sont détruits au sol à Hyères.

Lorient

Arrivée du Corps de Marine belge. Comprenant les patrouilleurs A.4 et A.5, les chalutiers H.75, Z.8, Z.25 et 0.317, le bateau-pilote BP.13 et les vedettes P.3 et Prince Charles, il doit lui aussi participer au dragage de mines aériennes et, le cas échéant, à l’évacuation de troupes.

Bordeaux – Hôtel de la Préfecture

Le Président Roosevelt répond au message que Reynaud lui a adressé le 13 juin. Il promet que les États-Unis enverront une plus grande quantité d’armement en France et en Angleterre, mais indique qu’ils ne sont pas disposés à entrer en guerre.

Sir Dill, chef d’état-major britannique, prévient Weygand que le Corps Expéditionnaire cesse de relever de lui.

Plusieurs Conseils des Ministres et entretiens particuliers font de l’Hôtel de la Préfecture, où fonctionne la Présidence de la République, un véritable théâtre de boulevard. De nombreux officiers, fonctionnaires et ministres circulent de salons en salons.

Lors d’un premier Conseil, alors que Weygand déplore à haute voix « le nombre de jours perdus », Reynaud annonce son intention de transférer en Afrique du Nord la permanence républicaine et lui suggère de capituler avec l’Armée de Terre. Weygand s’offusque et sort avec Darlan. Le Conseil se poursuit sans les chefs militaires. A sa sortie, Reynaud annonce que « Les ministres sont pour la solution d’une capitulation de la seule Armée de Terre et cette capitulation doit être demandée par le Commandant en Chef. » Weygand réagit vivement, refusant « d’infliger pareille honte à nos Drapeaux. » Selon lui, il ne reste plus que deux choix possibles :l’armistice ou la poursuite d’une lutte de plus en plus désespérée. Il rappelle en outre que « la cessation des hostilités comme l’entrée en guerre sont du domaine de la conduite générale de la guerre, qui est affaire du gouvernement. Que celui-ci sache donc prendre toutes ses responsabilités. » Reynaud s’en retourne en affirmant qu’il les prendra.

Devant le refus des “militaires”, c’est aux “politiques” de jouer.

Mandel tente de reformer le bloc politique soudé lors du dernier Conseil Suprême Interallié. Fort de l’adhésion des présidents de la Chambre et du Sénat, il rencontre ensuite Édouard Daladier, chef du Parti Radical, et Pierre Mendès-France, jeune et très actif député de ce parti. Tous deux acceptent de soutenir Mandel en cas de besoin. L’après-midi, Mandel rencontre Léon Blum, qui dirige la SFIO (Section Française de l’Internationale Ouvrière, ancêtre du Parti Socialiste actuel), dont les députés forment le groupe de loin le plus nombreux de l’Assemblée en fonction, élue en 1936. En dépit de leurs divergences politiques, ils finissent par tomber d’accord. Blum signale à Mandel que le Secrétaire d’État à la Guerre, le Général de Brigade (à titre provisoire) Charles de Gaulle les soutiendra certainement, ne serait-ce qu’en raison de la vieille hostilité qui l’oppose aujourd’hui à son ancien protecteur, Pétain. Mais De Gaulle est à Londres, où il informe Churchill des derniers développements militaires – et surtout politiques – de la situation française.

Alors, de sa propre initiative, Mandel prend contact avec le gouvernement britannique : « Je ferai l’impossible, dit-il à Churchill, pour que la France respecte ses obligations dans le cadre de la guerre commune contre l’Allemagne et l’Italie. »

– Si l’impossible est devenu la seule issue, c’est que cela va vraiment très mal… commente à Eden le Premier Ministre anglais, alarmé.

Mandel joint ensuite De Gaulle et lui demande de rentrer le plus vite possible à Bordeaux. Leur dialogue, sur une ligne téléphonique hachée de parasites, se fait à mots couverts : « Nous aurons besoin de vous au Conseil des Ministres de demain, Général, demande Mandel (sans dire qui il désigne par ce “nous”). Vous comprenez qu’il faudra, à nos côtés, un soldat, un homme qui sache se battre et qui soit prêt à continuer. Certains d’entre nous viennent de formations politiques qui n’ont peut-être pas votre sympathie, mais devant les périls de l’heure, chacun doit savoir surmonter ses préjugés… » De Gaulle saisit fort bien : « Comme vous l’avez dit, Monsieur le Ministre, il s’agit de se battre. Et aujourd’hui, il n’y a plus de droite ou de gauche, il n’y a plus que ceux qui se couchent et ceux qui se battent. Je commençais à croire que les premiers étaient majoritaires au gouvernement, mais puisque vous vous battez, je serai demain au Conseil, à vos côtés. » Il rentre alors au plus vite à Bordeaux, grâce au petit bimoteur De Havilland Flamingo que Winston Churchill a mis à sa disposition.

Dans la soirée, Churchill, après avoir ressassé plusieurs heures la signification des propos de Mandel et du départ précipité d’un De Gaulle visiblement ému, sent qu’il doit faire quelque chose. Il appelle alors personnellement Paul Reynaud pour l’assurer que la Grande-Bretagne soutiendra « fraternellement » tous les efforts du gouvernement français pour continuer la guerre. « Je dis tous vos efforts, en toutes circonstances ! Je sais que la situation de votre pays est dramatique, mais vous ne devez pas lâcher prise ! s’exclame-t-il. Monsieur le Président du Conseil, hold firm ! Tenez bon ! J’en appelle à l’honneur de la France ! » conclut-il, rappelant le mot de Joffre interpellant French au pire moment de l’été 1914. Bien plus tard, Paul Reynaud écrirait dans ses mémoires :

« Cet appel me fit une impression profonde. L’épouvantable accent du Premier Ministre anglais donnait à ses propos dramatiques une touche comique qui ne faisait que les rendre plus impressionnants. »

Bruxelles

Parution du premier numéro de Chut !, journal clandestin qui sera imperturbablement publié jusqu’à la libération de la Belgique. Il est l’œuvre d’un avocat bruxellois de 75 ans, Albert Van de Kerckhove, un récidiviste qui signait déjà du pseudonyme de “Fidelis” dans la Libre Belgique clandestine de 1914-18.

Italie du Nord

Raids de l’aviation anglaise.

Mer Rouge

Le petit sous-marin italien Macallè s’échoue près de l’île de Barr Musa Chebir. Le navire est perdu.

Lituanie

Après avoir adressé un ultimatum au gouvernement de ce petit pays, les forces soviétiques occupent Kaunas et Vilnius.

16 juin

Bataille de France

Guderian prend Dijon, puis arrive sur la Saône et se dirige directement sur Besançon et Pontarlier. Les troupes allemandes atteignent la Loire et entrent dans Orléans. Le Groupe d’Armées C traverse le Rhin près de Colmar. Des bombardements allemands ont lieu sur Bourg-en-Bresse et Pont-de-Vaux.

Le Général Georges affirme que les chefs de Groupes d’Armées et d’Armée jugent impossible la continuation de la lutte. La 3e DLM se bat pourtant du côté de La Ferté-Vidame.

Dans les Alpes, on ne note que quelques sorties de chasse au-dessus de la frontière.

Bretagne et Normandie

Dans la nuit, un bateau britannique quitte la France avec l’eau lourde commandée le 21 mars à la Norvège.

Dans la journée, les unités aériennes britanniques encore en Bretagne retournent en Angleterre.

Les Anglais doivent évacuer plus de 50 000 hommes et 5 000 tonnes de matériel de leurs bases de Saint-Nazaire, Châteaubriant, Rennes. Le paquebot Franconia est endommagé par des avions allemands en baie de Quiberon, mais 12 000 hommes sont évacués du sud de la Bretagne. Les évacuations se poursuivent également à Brest et Saint-Malo. Les malles belges qui assuraient avant guerre la liaison entre Ostende et Douvres ou Folkestone participent activement à ces évacuations de Bretagne et de Normandie, à partir de leur nouvelle base de Southampton. Ces huit malles, les vapeurs Prince Charles, Prince Léopold, Princesse Astrid, Princesse Joséphine-Charlotte et Princesse Marie-José et les diesels Prince Baudouin, Prince Albert et Prince Philippe, représentent une capacité de transport de 12 000 hommes.

Poitiers

10h00 – Avant de partir pour Bordeaux, le Général Denis, ministre belge de la Défense Nationale, demande au Général-major Van Daele de préparer sa 7e D.I., qui se reconstitue à Malestroit, en Bretagne (voir annexe 40-1), à un embarquement imminent vers l’Angleterre.

Bordeaux – Hôtel de la Préfecture

11h00 – Conseil des Ministres

Pétain prend la parole pour exposer que la France a perdu la guerre. « C’est le cœur serré, Monsieur le Président du Conseil, que je vous dit qu’il faut cesser le combat et demander aux autorités allemandes une armistice dans l’honneur. Si ce Conseil l’estime nécessaire, je suis prêt à faire don de ma personne à la France pour mener ces négociations, puis pour relever notre malheureux pays. »

– Le discours que nous venons d’entendre ne peut être qualifié autrement que de haute trahison, rétorque Mandel. Je suis scandalisé et profondément attristé de l’entendre dans la bouche du vainqueur de Verdun, et seul le poids de l’âge peut expliquer un tel défaitisme ! La guerre peut et doit continuer à partir de notre Empire, avec le soutien fraternel de nos alliés !

– Taisez-vous, crache Pétain, vous n’êtes qu’un civil et vous n’y connaissez rien !

De Gaulle se lève brusquement et se dresse de toute sa haute taille : « Monsieur le Ministre, dit-il, évitant avec soin de donner à Pétain son titre de Maréchal, comment prétendez-vous vous y connaître vous-même ? Depuis des années, vous n’avez rien fait pour moderniser notre Armée, et vous avez tué dans l’œuf toutes les tentatives de développer une doctrine d’utilisation efficace de nos forces dans une guerre moderne ! Le désastre qui nous frappe aujourd’hui, c’est vous et vos affidés qui l’avez préparé ! »

Profitant de la stupéfaction qui frappe le Conseil, Mandel presse Reynaud de prendre une décision : « Monsieur le Président du Conseil, le destin du pays, le destin de la France est entre vos mains ! »

Lentement, Reynaud se lève à son tour. D’une voix étranglée, il articule : « La France doit honorer sa parole envers ses alliés, à commencer par le Royaume-Uni. Il en va de son honneur. Nous ne pouvons pas capituler. Monsieur le Maréchal, le gouvernement accepte votre démission de vos fonctions ministérielles. »

Je refuse cette décision ridicule, proteste le vieux militaire. La majorité des membres de l’Assemblée Nationale et du Sénat comprennent l’intérêt du pays et me soutiennent !

C’est l’instant qu’attendait Mandel. Il bondit vers la porte de la salle du Conseil et fait entrer Blum. « Messieurs, explique celui-ci, en ces heures dramatiques, je suis venu assurer le Président du Conseil du soutien total du groupe socialiste. Vive la France ! » Selon une récente biographie, ce « Vive la France ! » marquait sa revanche sur tous ceux qui l’avaient depuis des années traité de “sale juif cosmopolite”. Quoi qu’il en soit, cette exclamation est reprise par la grande majorité des membres du Conseil : « Vive la France ! ».

– Philippe Pétain, déclare Mandel, froid comme un juge d’instruction envoyant en prison un cambrioleur, je vous accuse de conspiration et de haute trahison. Messieurs, lance-t-il à deux policiers qui ont pénétré dans la salle du Conseil sur les pas de Blum, arrêtez cet homme.

De nombreux historiens se sont demandés comment Mandel avait pu trouver des policiers qui ne seraient pas susceptibles d’hésiter au moment d’arrêter une Gloire Nationale telle que Pétain. L’hypothèse la plus souvent évoquée est la bonne : Mandel avait pris contact avec le Grand Orient de France, et les deux policiers étaient francs-maçons. En juin 2000, une “tenue blanche” du Grand Orient ouverte au public, organisée à l’occasion du 60e anniversaire de l’événement, a présenté des témoignages de première main qui ne laissent aucun doute, précisant même que ces policiers, repliés à Bordeaux avec le personnel du ministère de l’Intérieur, étaient membres de la loge parisienne La Philosophie Positive.

C’est un vieillard affolé qui est emmené, tandis que De Gaulle est nommé (à titre provisoire, bien sûr…) Ministre de la Guerre.

On sait que Pétain sera frappé quelques heures plus tard par le premier des accidents vasculaires cérébraux qui devaient finir par l’emporter après des mois d’une lente agonie. Dans un geste de propagande condescendante, les Allemands le firent inhumer à Douaumont, où les autorités françaises l’ont laissé reposer après la guerre.

Bordeaux – À bord du Baudouinville (siège du Gouvernement belge)

14h00 – Le Lieutenant-colonel Wouters téléphone de Londres pour annoncer qu’après de longues tractations, l’Air Ministry a donné son accord à la constitution d’escadrilles volant sous cocardes belges. Le transfert vers l’Angleterre des pilotes belges pourra commencer à partir du 19 juin, en commençant par ceux qui connaissent le matériel britannique. Parmi les 600 pilotes et hommes d’équipage belges encore présents en France, 90 pilotes de chasse et 75 équipages de bombardier sont dans ce cas.

15h00 – Le Conseil des Ministres du Gouvernement belge qui s’ouvre est peut-être le plus dramatique de l’histoire de la Belgique.

H. Pierlot (Premier ministre) a préparé un projet de proclamation : « Notre gouvernement, tout en remerciant la France de son hospitalité, explique pourquoi il rejoint la Grande-Bretagne. Comme vous pouvez le lire, je souligne les ressources dont dispose encore la Belgique pour poursuivre la guerre : les réserves d’or, le Congo, la flotte marchande, les officiers et soldats qui réussiraient à quitter la France. »

P.H. Spaak (ministre des Affaires Etrangères) : « Mais comment vont réagir les Français ? Tout indique qu’ils vont demander l’armistice. Quel est alors le sens pour la Belgique de poursuivre la guerre ? »

H. Denis (ministre de la Défense) : « Nous avons encore près de 100 000 soldats en France prêts à se battre, et pratiquement autant de jeunes gens dans notre réserve de recrutement ! »

De Schryver (ministre des Affaires Economiques) : « Enfin, mon Général ! Comment voulez-vous évacuer autant de monde vers la Grande-Bretagne et l’Afrique du Nord ? C’est tout simplement impossible, soyez réaliste ! Les Anglais nous ont-ils même promis des moyens de transport ? »

Spaak : « Un hydravion de 18 places pourrait nous emmener dès demain, et un croiseur devrait ensuite prendre en charge trois cents de nos collaborateurs. »

Soudan (ministre de l’Instruction Publique) : « Seulement 18 places ? Et nos familles ? Il n’est pas question que j’abandonne mon épouse et mes enfants ! Et puis que vont penser les réfugiés ? Nous sommes déjà honnis en Belgique parce que nous avons quitté le pays les premiers, et maintenant nous abandonnerions tous les réfugiés qui sont en France… »

A. De Vleeschauwer (ministre des Colonies) : « Nous pouvons partir avec leBaudouinville. Nous pourrions réquisitionner le Thysville, qui est aussi à Bordeaux, et encore d’autres navires ! Messieurs, nous sommes à l’heure d’un choix crucial pour la patrie, ce n’est pas le moment de faiblir ! »

De Schryver : « De Vleeschauwer, êtes-vous devenu fou ? Partir sans escorte, vous n’y pensez pas… Et puis, à votre avis, que penserait le Roi ? Il faudrait le lui demander ! »

De Vleeschauwer : « Nous devons faire ce que le Roi ferait s’il disposait des mêmes informations que nous ! Poursuivre la lutte, au Congo, sur les mers, avec notre or, notre flotte, nos soldats, partout où c’est possible ! »

Gutt (ministre des Finances) : « De Vleeschauwer a raison ! Jamais la Grande-Bretagne et son Empire ne failliront. Et la puissance de l’industrie américaine est derrière eux. Le droit finira par triompher, et nous devons préserver les intérêts de la Belgique en attendant. »

Matagne (ministre des Travaux Publics) : « Oh, vous, Gutt, vous avez de bonnes raisons de partir(allusion aux origines juives du ministre des Finances)… Mais nous, qu’irions-nous donc faire à Londres ? Qui de nous sait même parler l’anglais ? »

Jaspar (ministre de la Santé Publique) : « Eh bien, si la race de Monsieur Gutt le rend plus lucide, tant mieux ! Pour ma part, ma décision est prise – je pars pour Londres ! Mon épouse est juive aussi, et j’ai visité l’Allemagne d’Hitler plusieurs fois ces dernières années. Devant un régime d’une telle barbarie, nous ne pouvons pas renoncer au combat ! »

De Schryver : « Il n’est même pas certain que la Grande-Bretagne continue la lutte. Vous savez, il y a dans ce pays, et particulièrement à la Chambre des Lords, un fort courant pacifiste. »

Ministre des Affaires Étrangères du gouvernement Reynaud jusqu’au 16 juin (Reynaud lui-même va reprendre le poste dès le lendemain pour des raisons symboliques ; Bauduin sera appelé à le soutenir dans cette tâche et finira sa carrière avec le titre honorifique d’Ambassadeur de France).

La discussion devient confuse, alors que De Vleeschauwer, Gutt et Jaspar s’efforcent de convaincre leurs collègues découragés. Soudain, un huissier vient annoncer à Pierlot et à Spaak que Le Tellier (ambassadeur de Belgique auprès du Gouvernement français) vient d’arriver et souhaite leur parler immédiatement. Pierlot et Spaak s’éclipsent, puis reviennent quelques minutes plus tard, visiblement surexcités : « Messieurs, explique Pierlot d’une voix tremblante, nous venons d’écouter Le Tellier, qui nous rapporte une conversation incroyable qu’il a eue avec Bauduin : il paraît que Pétain a été arrêté pour défaitisme et même trahison, à l’issue du Conseil des Ministres qui s’est tenu ce midi ! Le Général de Gaulle, qui aurait obtenu quelques succès sur le terrain et qui était secrétaire d’Etat, le remplace comme ministre de la Guerre. Qui d’entre vous sait quelque chose sur ce général ? Il semble qu’un gouvernement d’union nationale soit en voie de constitution. Bauduin dit qu’il veut poursuivre la lutte à partir de l’Afrique du Nord ! »

La foudre frappant au milieu de la table du Conseil n’aurait pas produit plus d’effet. Mais les ministres manquent encore d’éléments pour arrêter leur position. Certains vont cependant agir sans plus attendre.

21h00 – Le Général Denis, enflammé par la nouvelle de la décision française, télégraphie au Général-major Van Daele pour lui enjoindre de se mettre en route le plus rapidement possible avec sa 7e D.I. pour Lorient, où se trouvent les navires du Corps de Marine et où lui seront envoyés des moyens de transport. Van Daele avouera par la suite que, si cet appel ne lui était pas parvenu dès ce 16 juin au soir, il est douteux que sa division aurait pu être évacuée (au mieux, sans doute, la moitié des effectifs, qui disposait de camions). Denis parvient ensuite à joindre le Major Decarpentrie, commandant du Corps de Marine, à Lorient, pour lui annoncer l’arrivée de la division et lui ordonner de tout mettre en œuvre pour réussir son sauvetage. Il termine son appel par les mots : « Il faut sauver la 7e Division ! », qui deviendront célèbres grâce au film que les frères Dardenne tireront de cet épisode un demi-siècle plus tard. On se sait que cette œuvre fameuse, qui remporta la Palme d’Or à Cannes en 1991, inaugura un genre curieux que certains critiques cinématographiques ont baptisé “film de guerre social”. Dans le rôle de Van Daele, on retrouve Benoît Poelvoorde pour une de ses meilleures compositions, pourtant à contre-emploi dans le rôle émouvant d’humanité d’un militaire déterminé à sauver ses soldats égarés dans un pays dont ils ne savent pas grand-chose, les guidant vers un nouvel exil dans un autre pays dont ils ignorent tout.

Liège

Walthère Dewé, l’ancien chef du réseau de renseignement de la Dame Blanche pendant la Grande Guerre, rencontre son ami, l’ingénieur Hector Demarque. Il lui tient ce discours ; « L’Angleterre tiendra seule aussi longtemps qu’il sera nécessaire. Tôt ou tard, les États-Unis et l’Union Soviétique seront contraints à l’intervention. La guerre sera très longue. Qu’importe ! La grandeur de la cause exige que nous ne fixions aucune limite à notre devoir. Quoi qu’il arrive, nous irons jusqu’au bout. » Ensemble, ils décident de fonder ce qui deviendra le réseau de renseignements Clarence, qui comptera plus de 1500 agents.

« Par la qualité et la quantité des messages et documents qu’il fournit, dira le grand responsable des services secrets britanniques, sir Claude Dansey, le réseau Clarence occupe la première place parmi les réseaux de renseignements militaire de toute l’Europe occupée. »

Méditerranée Occidentale

Le sous-marin britannique Grampus, au cours d’une opération de mouillage de mines au large d’Augusta (Sicile), est coulé par les torpilleurs italiens Circe, Clio et Polluce.

Sardaigne

Le Corallo, normalement basé à Cagliari, est en réparations à Monfalcone, en Adriatique.

Le podestá (plus haut magistrat) d’Olbia informe ses supérieurs à Rome que si les Français décident de débarquer par le nord de l’île, il n’y a rien ni personne, sauf les carabiniers, pour les arrêter. En réalité, la défense de l’île relève du XIIIe Corps d’armée (Général A. De Pignier), ainsi que du XIIIe Corps territorial. Seule la brigade régulièreSassari est stationnée en Sardaigne en ce mois de juin. Deux divisions d’infanterie (la 30e Sabauda et la 31e Calabria) doivent être formées pour l’automne, mais les dépôts divisionnaires ne sont pour le moment qu’à 20-25% de leur niveau requis. L’équivalent d’une division de Chemises Noires existe sur le papier. L’aviation aligne une brigade de bombardiers et bombardiers/torpilleurs sur SM-79 et hydravions Z-506bis, un escadron de chasse sur Fiat CR-32 et Ca-133, un escadron d’attaque sur Ba-88, une escadrille de servitude sur SM-66 et un détachement d’observation équipé de vieux biplans Ro.37. A Cagliari sont basés huit torpilleurs (Antonio Mosto, Cairoli, Canopo, Cascino, Cassiopea, Chinotto, Montanari, Papa), quatre vedettes rapides MAS et neuf sous-marins (les Adua, Alagi, Aradam, Axum, Diaspro, Medusa etTurchese, plus les Ascianghi et Comandante Cappellini, redéployés de La Spezia).

Pays Baltes

Un gouvernement pro-soviétique est mis en place en Lituanie.

L’URSS envoie à la Lettonie et à l’Estonie des lettres formulant les mêmes exigences que celles qui viennent d’être imposées à la Lituanie (changement de gouvernement et “ajustements” de frontières).

17 juin

Bordeaux – Hôtel de la Préfecture

10h00 – Le gouvernement est remanié :

Président du Conseil (et ministre des Affaires Étrangères) : Paul Reynaud (centre-droit)

Ministre de l’Intérieur, Vice-Président du Conseil : Georges Mandel (centre-droit)

Ministre de la Justice, Vice-Président du Conseil : Édouard Daladier (Parti Radical)

Ministre du Travail et des Affaires Sociales, Vice-Président du Conseil : Léon Blum (SFIO)

Ministre de l’Économie et de l’Effort de guerre : Raoul Dautry

Pierre Cot travaillera notamment avec son camarade de parti, Pierre Mendès-France, qui sera nommé à la tête de l’Agence de Développement Industriel de l’Armée Française aux États-Unis.

Ministre délégué chargé des acquisitions (achats d’armes) : Pierre Cot (Parti Radical)

Ministre de la Guerre : Général Charles de Gaulle

Ministre des Transports et de la Marine : Henry de Kérilis (droite nationaliste).

12h00 – Le Président de la République, Albert Lebrun, annonce à la radio le changement de gouvernement et la « démission pour raisons de santé » de Philippe Pétain. Puis, Reynaud, Blum et Mandel prononcent chacun une allocution. Celle de Reynaud est ferme mais terne : « Courage, la victoire sera au bout de nos efforts. » Blum surprend tout le monde par un discours bref mais énergique : « Cette guerre, mes chers compatriotes, n’est pas une lutte entre la France et l’Allemagne, mais entre la Liberté et la pire Tyrannie que l’Europe ait jamais connue. Il nous est revenu, à nous Français, d’être les premiers à oser nous dresser sur son chemin. Quels que soient les drames et les obstacles, nous ne faillirons pas à cette mission sacrée. » Enfin Mandel, flamboyant, parvient à ressusciter l’héritage de son mentor Georges Clémenceau, le Tigre, dont le discours d’investiture de 1917 l’inspire :

« Une seconde fois en un quart de siècle, nous avons été contraints de nous jeter dans la bataille, et nous n’avons plus qu’une unique pensée : la guerre intégrale et la victoire. Désormais, le gouvernement de la France ne connaît qu’une seule politique : la Guerre. La Guerre sur les champs de bataille, la Guerre que nous soutiendrons de toutes nos forces à l’arrière et depuis nos colonies. Nous en connaissons aujourd’hui la dureté et le malheur, et Paris, prisonnier, porte le deuil. Mais un jour viendra où, de Paris délivré au plus humble village, nos étendards à nouveau tordus dans le sang, à nouveau baignés de larmes, à nouveau déchirés des obus, mais à nouveau vainqueurs, seront salués par les acclamations de tout le peuple français ! »

Dans les heures qui suivent parviennent à Bordeaux de nombreux messages des gouverneurs des Colonies. En particulier, les généraux Noguès, en Afrique du Nord, et Mittelhauser, au Levant (Syrie et Liban), font part de leur inquiétude, mais aussi de leur disponibilité et de leur entier dévouement.

Toute la journée, les ministres belges Pierlot, Spaak et Denis cherchent à entrer en contact avec le gouvernement français, et plus particulièrement avec le Général de Gaulle, mais en vain.

Pendant ce temps, sur la base de rumeurs qui se révèleront fausses, d’autres ministres belges quittent Bordeaux pour Perpignan afin, pensent-ils, d’y rejoindre le Gouvernement français en train de s’embarquer pour l’Afrique du Nord. Ils reviendront dans la soirée, confus et bredouilles.

Bataille de France

Guderian atteint Pontarlier, non loin de la frontière suisse, achevant d’isoler le Groupe d’Armées de l’est. Châlons-sur-Saône tombe. Les troupes allemandes entrent dans Metz et Chartres, atteignent Fougères et Briare et progressent en Bretagne. Le GA III tient encore un semblant de front sur la Loire. On se bat farouchement dans Orléans et dans la région de Charité-sur-Loire, où l’ennemi à réussi à franchir le fleuve, mais se trouve contenu derrière le canal latéral. Le Corps Expéditionnaire britannique (ou ce qui en reste), résiste aux côtés des Français dans la Basse Loire, dans la région de L’Aigle, La Ferté-Vidame et Châteaudun (à l’est de Chartres). Quelques contre-attaques sont même lancées. À Buxy, en Saône-et-Loire, une unité de réservistes s’oppose résolument à l’avancée allemande.

L’aviation italienne se contente d’effectuer des missions de reconnaissance sur la vallée du Rhône et sur la Côte d’Azur (en particulier au-dessus de Toulon), non sans pertes.

Rennes

Dans la matinée, une déflagration formidable surprend les habitants, faisant sauter les carreaux de la plupart des maisons. Elle est provoquée par le premier et le plus violent des bombardements contre la ville. Quelques bombardiers allemands, ayant d’abord mitraillé un convoi allant de Vitré à Rennes, s’en prennent à la gare de triage de la ville, en l’absence de couverture aérienne et de DCA. Les bombes de 500 kg font exploser un wagon de cheddite faisant partie d’un train de munitions qui, par malheur, séjourne à proximité de plusieurs autres convois. Deux trains transportent des unités françaises, un autre est encombré de réfugiés venant de Lisieux et Paris et le quatrième transporte des troupes anglaises en cours d’évacuation. Il y a au moins un millier de victimes et un grand nombre de maisons sont détruites. Les explosions se succèdent pendant 24 heures.

Saint-Nazaire

Le paquebot Lancastria, évacuant principalement des civils anglais et du personnel de la RAF (plus de 5 800 personnes, alors que la capacité du navire n’est que de 3 000 passagers), est coulé par des Ju-88, qui ont profité d’une absence de la chasse anglaise pour attaquer malgré la violente DCA des destroyers et autres navires présents. Il y a 2 477 survivants.

La Rochelle

Alors que le paquebot Foucauld, en radoub dans le port de La Pallice et touché par des bombes le 15 au soir, finit seulement de brûler, le paquebot Champlain saute sur une mine magnétique mouillée par des avions devant l’île de Ré. Le navire prend rapidement 30 degrés de gîte sur tribord, ce qui interdit la mise à l’eau des embarcations. Il sera achevé le 21 par une torpille du sous-marin allemand U-65.

13h00 – Sur instruction du Major Decarpentrie et après d’âpres discussions avec les autorités militaires françaises, l’escadrille du Corps de Marine mouillée à La Rochelle appareille pour Lorient. Elle escorte trois navires belges qui se trouvaient à La Pallice : le cargo Henri-Jaspar, qui vient d’y débarquer 2 000 châssis de voitures, le grand vapeur Ville-de-Namur, un des navires de la Société Maritime Anversoise qui avait été formée en 1940 avec des navires américains pour contourner le “Neutrality Act”, et la vieille malle du Congo Léopold-II. De plus, les chalutiers O.140 et O.348 sont rappelés du Verdon pour participer aux opérations d’évacuation.

Lorient - Portsmouth - Lorient

14h00 – Decarpentrie, à Lorient, contacte le Lieutenant Victor Billiet à Portsmouth, où il vient de débarquer de la malle Prince-Philippeles restes de la 1ère Division canadienne qu’il a évacués de Saint-Malo. Decarpentrie demande à Billiet de lui envoyer des moyens supplémentaires pour évacuer la 7e D.I. de Lorient. Billiet se heurte au refus des autorités britanniques, qui ne veulent pas risquer des moyens précieux dans une opération qui paraît hasardeuse. C’est alors qu’il apprend par chance qu’une petite flottille de bâtiments belges vient d’être détournée de Brest pour Plymouth, en raison de l’encombrement du port breton. Cette flottille comprend notamment les chalutiers Z.72 Angèle-Lisette, N.45 Hernieuwen-in-Christus et N.58 Abel Dewulf, le baliseur Zeehond, les dragues Flandre II, Flandre III, Escaut, Meuse, Sambre et Semois, les porteurs Flandre V et Flandre VI, les remorqueurs Geer et Demer et la vedette Ostende, escortés par les patrouilleurs auxiliaires de la Marine Nationale Aiglon et Notre-Dame-de-l’Espérance. Billiet se démène tant et si bien qu’il arrive à convaincre les officiers responsables de rediriger la flottille vers Lorient pour embarquer la 7e Division. Le convoi arrive à bon port en début de soirée.

20h00 – Les premiers éléments motorisés de la 7e D.I., arrivés à Lorient, procèdent à l’embarquement. Pendant toute la nuit, les camions feront la navette sur la route de Malestroit à Lorient pour amener le reste des hommes.

Bordeaux – Hôtel de la Préfecture

20h00 – Le Général de Gaulle, ministre de la Guerre, appelle l’Amirauté pour ordonner l’évacuation des forces non indispensable pour protéger le sud de la France et ses ports – évacuation qui sera bientôt baptisée “le Grand Déménagement”. Repoussant sèchement les objections de l’Amiral Auphan, il ordonne également la réquisition « de tout ce qui flotte, y compris les barques de pêche et les yachts de plaisance. »

20h30 – Conseil des ministres. De Gaulle dresse brièvement le tableau de la situation militaire. « Nous ne devons nous bercer d’aucune illusion, Messieurs : la bataille sur le territoire métropolitain est perdue. La seule issue qui subsiste est de mener des actions de retardement avec des forces sacrifiées, tandis que les meilleures de nos troupes, celles dotées de l’équipement le plus moderne, seront évacuées en Afrique du Nord. Les unités laissées sur le continent européen combattront jusqu’à la limite de leurs possibilités, puis devront se rendre lorsque leur lutte sera devenue inutile. »

Mandel, Daladier et Mendès-France soutiennent De Gaulle.

Mais le “Généralissime” Weygand proteste avec violence : « C’est inadmissible ! Jamais on ne m’obligera à donner à l’Armée des ordres de reddition ! C’est contraire à toutes nos traditions militaires les plus sacrées ! » Alors Mandel, à bout de nerf et avant que Reynaud ait pu répliquer : « Si c’est là votre opinion, Monsieur le Chef d’Etat-Major, allez au Diable !… ou allez vous faire tuer, si vous préférez ! » Weygand, qui n’aurait jamais démissionné, le prend au mot et sort en claquant la porte. Le Diable n’étant pas disponible, il va se joindre à la première unité qu’il trouve, en prend le commandement en personne et ira bel et bien se faire tuer avec panache, quelques jours plus tard, lors des combats magnifiques mais sans espoir livrés par les cadets de l’Ecole de Cavalerie de Saumur entre Gennes et Montsoreau.

Clémenceau avait dit en apprenant la mort du Général Boulanger, suicidé sur la tombe de sa maîtresse : « Il est mort comme il a vécu, en sous-lieutenant. »

En l’apprenant, De Gaulle laissera tomber, pour toute oraison funèbre : « Il est mort comme il a vécu, en capitaine de cavalerie. » Selon la biographie de Jean Lacouture, De Gaulle aurait ajouté à mi-voix : « Pourquoi Mandel serait-il le seul à avoir le droit de pasticher Clémenceau ? »

23h30 – Peu après ce Conseil dramatique, De Gaulle rencontre les représentants de l’Armée britannique à Bordeaux pour les informer des décisions françaises concernant les prochaines opérations. Il leur demande d’assurer au plus vite le transport jusqu’en Algérie des forces françaises revenant de Norvège (dont des chars H-39) et s’engage à soutenir au mieux les forces du Commonwealth en Méditerranée.

Méditerranée Occidentale

Le sous-marin italien Provana tente de s’en prendre à un convoi français au large d’Oran. Remontant le sillage des torpilles lancées par le sous-marin, l’aviso La Curieuse, assisté d’un sister-ship, le Commandant Bory, le force à faire surface en le grenadant, puis l’éperonne et le coule.

Italie du Nord

Dans la nuit du 17 au 18, 13 bombardiers en piqué LN-401/411 des escadrilles AB2 et AB4 de l’Aéronavale bombardent des navires italiens dans le port d’Imperia. Deux avions sont perdus. Cette mission sera la dernière effectuée par ces avions en Métropole. Dans les jours suivants, ils sont évacués en Afrique du Nord.

Rome

L’avant-veille, le Comte de Kerchove a envoyé une lettre au Comte Ciano pour protester contre « l’ingérence du Gouvernement royal italien dans un domaine qui relève exclusivement de la politique intérieure » de la Belgique. À 23h10, n’ayant pas eu de réponse, il quitte Rome pour la Suisse avec tout le personnel de l’Ambassade. Les Italiens ont refusé que les États-Unis prennent en charge la représentation des intérêts de la Belgique, car il ne s’agit pas à leurs yeux d’une rupture des relations diplomatiques.

18 juin

Bordeaux

08h00 – Réunion de l’état-major interarmes autour du Général De Gaulle.

Sont d’abord évoquées les mesures à prendre pour éviter un effondrement immédiat des forces défendant la France Métropolitaine, qui empêcherait l’exécution des plans d’évacuation. Il apparaît que les forces aériennes françaises sur le territoire métropolitain ont encore des capacités non négligeables (voir annexe 40-4). Une partie de ces forces sera sacrifiée pour ralentir la progression allemande, le reste traversera la Méditerranée. La chasse doit se concentrer sur la protection des points stratégiques (Marseille, Toulon, Toulouse) et sur celle des troupes au sol contre les bombardements de la Luftwaffe. Celle-ci est heureusement moins agressive au fur et à mesure que ses lignes de communication s’étirent : les échelons au sol n’arrivent pas à suivre le rythme de l’avance des Panzers et le court rayon d’action des Messerschmitt Bf-109 (qui ne sont pas capables, à ce moment, d’intervenir au sud d’un arc de cercle allant du nord de Bordeaux au nord de Valence) oblige souvent les bombardiers à n’être escortés que par des Bf-110, au grand soulagement des pilotes français. Les bombardiers les plus modernes attaqueront des cibles italiennes – seuls certains, sacrifiés, s’en prendront aux colonnes allemandes. Les plus anciens seront miséricordieusement réservés pour des attaques nocturnes ou des missions de liaison.

Puis, la situation en Méditerranée vient sur le tapis.

La neutralisation des forces italiennes est considérée comme une priorité. La Marine, représentée par l’Amiral Auphan, réclame une action énergique contre la Sardaigne, « seul moyen de nous assurer à terme le contrôle de la Corse, donc des voies maritimes vers l’Afrique. »

– Par “action énergique”, entendez-vous qu’il nous faut débarquer des troupes en Sardaigne pour nous en assurer le contrôle ? lance De Gaulle.

– Hé bien… Oui.

– Alors, dites-le ! À moins qu’imaginer une action offensive ne vous inquiète ?

En attendant d’attaquer la Sardaigne, on décide de lancer à partir du 21 juin une offensive aérienne destinée à détruire les forces aériennes italiennes en ASI (Africa Settentrionale Italiana), empêcher leur reconstitution à partir de l’Italie et en général interdire toute communication entre l’Italie et l’Afrique.

10h00 – Après une brève pause, la conférence se prolonge par une réunion avec la délégation britannique, où sont prises une série de décisions concrètes.

Des unités aériennes françaises doivent être envoyées à Malte « le plus vite possible » pour protéger les installations navales et permettre de transformer l’île en une base offensive. L’Armée de l’Air accepte d’envoyer un Groupe de chasseurs H-75, et l’Aéronavale promet l’escadrille AC2 (chasse à long rayon d’action, sur Potez 631), les escadrilles B1 et B3 (bombardement, sur Martin-167), et l’escadrille T1 (torpillage, sur hydravions Laté 298).

GC I/7 (Rayak) avec 20 chasseurs MS-406, GB I/39 avec 11 bombardiers Martin-167, GAO 583 avec 19 Potez 63-11 de coopération, reconnaissance et attaque légère, une escadrille de transport avec 2 Fokker T-VII, 2 D-338 et 1 Potez-621, l’escadrille 8S4 de l’Aéronavale avec 6 hydravions légers Loire 130.

Une compagnie du 68e Bataillon de chars légers R-35, déployée en Syrie (13 blindés sur 50, 20 autres véhicules sur 80), doit être transportée « par les soins de l’Armée britannique » à Chypre, pour renforcer les défenses de l’île. Les unités de l’Armée de l’Air et de l’Aéronavale déployées en Syrie et au Liban doivent être placées sous la direction du commandement local de la RAF pour renforcer les défenses de Chypre et d’Alexandrie.

11h00 – Pendant la conférence d’état-major, le Président du Conseil, Paul Reynaud, et le Président de la République, Albert Lebrun envoient un message commun à Franklin D. Roosevelt, Président des États-Unis. Ce message informe officiellement les autorités américaines des décisions françaises, en même temps qu’il demande la fourniture d’urgence d’armes pour rééquiper les forces françaises transférées en Afrique du Nord.

15h00 – De Gaulle, en tant que Ministre de la Guerre, prononce à la radio un discours visionnaire, dans lequel il exhorte toutes les unités françaises en contact avec l’ennemi à combattre jusqu’à la limite de leurs forces. Ses paroles auront un impact profond et durable : « La France a perdu une bataille, mais elle n’a pas perdu la guerre… Car la France n’est pas seule ! Elle n’est pas seule ! Elle n’est pas seule ! Des forces immenses, dans l’univers, n’ont pas encore donné… J’appelle tous les Français à un immense effort, grâce auquel la France, soutenue par son Empire et ses Alliés, se redressera pour être au premier rang, le sien, quand viendra le jour de la Victoire ! » Très vite, on parlera de “l’Appel du 18 juin”, qui a aujourd’hui presque effacé des mémoires les trois discours de la veille.

17h00 – Informé par Auphan que le Général de Gaulle a “manqué de respect” à la Marine, l’Amiral Darlan, persuadé de provoquer un séisme, donne sa démission. Dans le chaos, nul ou presque ne s’en aperçoit. La Flotte est placée sous l’autorité directe du Ministère de la Guerre.

Bataille de France

Les Allemands s’emparent de Colmar, Nevers, Briare, Caen, Le Mans, Cherbourg (où les dernières troupes britanniques en Bretagne ont évacué dans la nuit), Saint-Malo (où le vapeur belge Diamant est capturé) et Rennes. Une pointe atteint même Ploërmel.

À Cherbourg, trois sous-marins en construction ont été sabordés (voir annexe 40-2). Le diesel belge René, bloqué pendant l’évacuation du port, est saisi par les Allemands.

Le GA III se replie sur le Cher.

Le 45e Corps, qui tient encore les forteresses de la ligne Maginot, est autorisé à passer sur le territoire suisse s’il ne parvient pas à se dégager.

Ordre est donné au Général Orly, commandant l’Armée des Alpes, de considérer Lyon comme ville ouverte, mais de défendre la ville sur les positions extérieures. Les Généraux Mer et Cartier galvanisent les troupes, improvisent une défense sur un nouveau front de 150 km avec les ressources les plus disparates. Ils parviennent ainsi à bloquer les avant-gardes de la 3e PanzerDivision et de la 12e division d’infanterie allemande à Voreppe, en Isère, et à endiguer toute menace sur les arrières de l’Armée des Alpes, tandis que les troupes italiennes sont aisément arrêtées sur la frontière par les fortifications et l’artillerie lourde.

Lorient

02h00 – Alors que la flottille belge de La Rochelle arrive en vue du port, une explosion retentit sur le Ville-de-Namur. Le vapeur, qui faisait la plus belle cible du convoi avec ses 7 500 tonneaux, vient d’être touché par une torpille tirée par le sous-marin U-52. Il coule rapidement. Les survivants sont recueillis par le BP.13, pendant que le reste de la flottille se réfugie rapidement dans le port. Aussitôt, l’embarquement des troupes commence. Faute d’engins de levage pour les monter à bord, les quatre chars légers T-13 qui restaient à la division sont détruits. Par contre, on arrime tant bien que mal le dernier canon antichar de 47 mm de la division sur le pont du Henri-Jaspar. L’odyssée de ce canon et de ses servants, qui se sont refusés à l’abandonner, est l’un des morceaux de bravoure du film des frères Dardenne. En 1991, beaucoup de Belges et même de Bruxellois ont avoué découvrir cette histoire, et comprendre pourquoi ce petit canon – qui devait combattre jusqu’à la Victoire – veille aujourd’hui du haut d’un socle devant le Palais Royal… où il est cependant bien moins photographié que le Manneken-Pis, à quelques rues de là.

Autres ports de l’Atlantique

À Brest, quatre sous-marins en grand carénage, les Achille, Agosta, Ouessant et Pasteur, ont été sabordés. Le torpilleur Cyclone(sur cale) et le pétrolier Dordogne (en cours de condamnation) ont également été mis hors d’usage. La coque du futur cuirassé Clémenceau est abandonnée sur place (voir annexe 40-2). Trois heures avant l’arrivée des Allemands, un convoi composé des transports El Djezair, El Kantara, El Mansour, Ville d’Oran et Ville d’Alger a quitté le port avec 1200 tonnes d’or en tout pour Casablanca (voir annexe 29).

Plus de 32 000 hommes ont été évacués sur l’Angleterre et le port a été en grande partie saboté avec l’aide d’équipes de démolition britanniques. La base aéronavale de Lanvéoc, d’où, le 6 juin, le quadrimoteur Farman 223.4 Jules-Vernes était parti bombarder Berlin, est évacuée. D’autres avions sont sabotés, en particulier les autogyres LeO C-301 de l’escadrille 3S2 de l’Aéronavale.

À Nantes aussi, on se prépare à l’arrivée des Allemands. Trois torpilleurs en cours de construction, Le Fier, L’Agile et L’Entreprenant, sont remorqués vers l’embouchure de la Gironde. Quatre autres torpilleurs, à des stades moins avancés, ainsi que quatre sous-marins sont abandonnés sur cale, mais une partie des matériaux de construction est dissimulée (voir annexe 40-2).

À La Rochelle, le pétrolier Le Loing est sabordé dans la rade. Les Britanniques réquisitionnent des cargos et embarquent 10 000 hommes, mais sans leurs véhicules.

À Saint-Nazaire, l’évacuation organisée par les Anglais est terminée, 23 000 soldats ont embarqués. Dans l’après-midi, quelques 2 000 soldats polonais appartenant à la 4e Division d’Infanterie sont évacués dans la confusion.

Bordeaux – Hôtel de la Préfecture

16h30 - De Gaulle reçoit les représentants du Gouvernement belge, Pierlot, Spaak et Denis, qui souhaitent l’entretenir de la poursuite de la guerre par la Belgique.

Pierlot : « Mon général, nous sommes venus mettre à la disposition de l’effort allié tout ce dont la Belgique dispose encore : son or, ses colonies, sa flotte marchande et ses soldats. Nous aimerions comprendre de votre part comment vous comptez poursuivre la guerre, et comment la Belgique pourra au mieux contribuer à l’effort commun. »

Il semble que le Général, ayant appris que Spaak avait au contraire jugé la France condamnée, n’ait pas apprécié cette flatterie, et que l’épisode soit une des raisons de son animosité future envers Spaak.

Spaak : « Nous venons d’entendre votre discours à la radio. Et je dois vous avouer que même moi, qui n’ai jamais douté un seul instant de la détermination de la France, j’ai été électrisé par votre superbe éloquence ! »

Pierlot : « Que comptez-vous donc faire ? Stabiliser le front derrière un grand fleuve, comme la Garonne ou le Rhône ? »

De Gaulle : « Monsieur le Premier Ministre, sauf votre respect, ni la Garonne ni le Rhône ne peuvent être pour la France de 1940 ce que l’Yser fut pour la Belgique de 1914. Non, devant les moyens de la guerre moderne, c’est la vaste étendue d’une mer qu’il nous faudra pour arrêter la vague déferlante des armées allemandes. Nous allons évacuer le plus possible de forces vers l’Afrique du Nord, en gagnant le temps nécessaire par des opérations de retardement en France métropolitaine. »

Denis : « Mon général, l’Armée belge dispose encore de nombreuses troupes dans le Midi de la France, sans compter la réserve de recrutement. Nous voudrions solliciter l’aide des Alliés pour en évacuer le plus grand nombre vers la Grande-Bretagne et l’Afrique du Nord, et poursuivre ainsi la lutte à vos côtés. »

De Gaulle : « Vous avez aussi votre 7ème Division d’Infanterie en Bretagne. J’y ai rencontré le Général Van Daele lors de mon passage début juin. Au total, de combien d’hommes disposez-vous donc encore ? »

Denis : « À l’heure qu’il est, la 7e D.I. termine son évacuation par Lorient. Il reste en France environ 83 000 soldats belges, dont un tiers environ encore à l’instruction, mais sans équipement adéquat pour combattre. Les Britanniques vont procéder à l’évacuation de nos pilotes et du reste de notre Aéronautique Militaire dès demain. De plus, nous estimons qu’il reste de 80 à 100 000 recrues dans nos centres du Midi. Je dois vous dire que nous avons perdu plus de 25 000 hommes dans la malheureuse aventure des bataillons de travailleurs (voir annexe 40-1), et que le moral de nos troupes en a été regrettablement affecté. »

De Gaulle : « En tout, plus de 170 000 hommes ! C’est un contingent certes appréciable, et je ne puis que vous encourager dans vos résolutions. En vérité, l’Europe sortira encore une fois bouleversée de cette guerre, sans doute plus encore qu’à l’issue du précédent conflit. La place à laquelle la Belgique pourra prétendre dans cette nouvelle Europe dépendra aussi de sa présence sur les champs de bataille de demain. Il va de soi que la marine marchande belge devra contribuer dans toute la mesure de ses moyens à l’évacuation qui se prépare, et qu’il faudra l’intégrer étroitement dans les opérations alliées. Je vous mettrai en contact avec l’Amiral Auphan pour les aspects pratiques. Mais dites-moi, quels sont les intentions du Gouvernement belge à l’égard de l’Italie ? »

Spaak : « L’attitude de l’Italie envers la Belgique est clairement inamicale, et le Gouvernement belge règle ses rapports avec elle sous l’angle de la réciprocité. Toutefois, en l’absence de faits nouveaux, la Belgique maintiendra vis-à-vis de l’Italie son état de non-belligérance. »

Denis : « Puis-je ajouter, mon Général, que cet état nous sert dans les opérations d’évacuation qui vont nous occuper dans les jours et semaines qui viennent. J’ai encore reçu hier un rapport du Général-major Tapproge indiquant que certains de nos avions qui survolaient la Méditerranée pour rejoindre notre école d’aéronautique évacuée en Afrique du Nord ont été approchés par une escadrille italienne sans être inquiétés. »

De Gaulle : « Je vous entends. On peut gagner du temps, mais ne vous faites pas trop d’illusions cependant. »

Denis : « Mon général, au nom des officiers et soldats de l’armée belge, j’aurais voulu vous demander une dernière faveur. À la suite de la capitulation de l’armée belge le 28 mai, le gouvernement français a décidé de radier le roi Léopold de la Légion d’Honneur. Cette décision a profondément choqué nos militaires dans leur loyauté au Roi. Nous avons maintenant toutes les assurances que le Roi n’a pas traité avec les Allemands, et n’a aucune intention de le faire ; il se considère comme prisonnier de guerre. Le Gouvernement français pourrait-il rapporter la décision prise le 28 mai ? Cela irait droit au cœur de tous les amis belges de la France, déterminés à continuer à se battre à ses côtés ! »

Pierlot et Spaak se tournent alors vers Denis, éberlués. La requête n’avait visiblement pas été concertée.

De Gaulle : « Quelle ironie ! Je viens moi-même d’imposer à l’Armée une prochaine capitulation sur le sol de Métropole, et c’est Weygand qui n’en voulait pas. À bien y réfléchir, vos politiques pourraient être complémentaires : vous serez le glaive, le Roi sera le bouclier. Cet équilibre s’avèrera sans doute instable à la longue, mais il pourra assurément mobiliser les énergies de vos compatriotes tout en les rassérénant. Je vais voir si je peux faire quelque chose, mais je crains que les circonstances ne soient guère favorables. Il faudrait attendre qu’un changement des fortunes de guerre nous donne l’occasion de revenir sur une mesure prise dans un moment de désespoir hélas compréhensible. »

Bordeaux – Siège local de la Banque du Congo belge

Le ministre des Colonies De Vleeschauwer rencontre les dirigeants des sociétés coloniales : « Messieurs, contrairement à ce que prétendent certains, dont la foi patriotique est bien fragile, cette guerre n’est pas finie. Elle ne fait au contraire que commencer. Et tant que la Belgique ne sera pas libre, aucun d’entre nous n’y remettra les pieds. Nous allons continuer la guerre avec le Congo. Vous êtes le secteur économique, je vous invite à suivre le gouvernement. Nous nous battrons jusqu’à notre dernier souffle ! »

Félicien Cattier, Président de la toute-puissante Union Minière du Haut-Katanga – celle qui livrera l’uranium de la bombe atomique aux Américains – approuve avec enthousiasme le discours du ministre. Dans son sillage, l’ensemble des industriels présents promettent leur plein concours à l’effort de guerre. Certains ne le font pas sans réticence. Le Vicaire apostolique à Elisabethville (Katanga), Monseigneur de Hemptinne, s’est fait le porte-parole d’un mouvement pacifiste, soutenu discrètement par quelques dirigeants de l’Union minière et de sociétés du groupe de la Société Générale, et même par un ou deux hauts fonctionnaires. Mais dans le climat d’union sacrée avec la France et l’Angleterre, ce mouvement n’ira pas bien loin.

Bordeaux – Saint-Sébastien

Bordeaux étant maintenant devenu trop exposé, le Vicomte Gatien du Parc, à qui le Roi Léopold III de Belgique avait confié ses enfants le 10 mai, décide de partir avec eux vers l’Espagne. Il rejoint Saint-Sébastien dans la soirée.

Roanne

Les responsables de la Fonderie Royale de Canons de Belgique, réfugiée à Roanne, reçoivent à 18h30 l’ordre de préparer l’évacuation vers Marseille, « en ce compris le matériel et les machines-outils, les canons et les munitions, ainsi que les ouvriers et leurs familles. » Certains camions qui étaient déjà partis vers Tarbes en exécution d’un ordre précédent sont réorientés.

Italie

Au crépuscule, l’Aéronavale commence une série d’opérations contre la côte italienne, entre Gênes et la frontière. Dix Laté 298 des escadrilles T3, T4 et 1S1, basés à Berre, bombardent la voie ferrée côtière.

Méditerranée Occidentale

En patrouille dans le Golfe du Lion, le sous-marin italien Adua attaque sans résultat un convoi français venant de Marseille.

Allemagne

La RAF bombarde de nuit Hambourg et Brême.

Hitler rencontre Mussolini à Munich.

19 juin

Washington

Le président Roosevelt accepte la vente à la France d’armes américaines : 30 “combat cars” M1 (de petits chars légers), 30 chars légers M2A4, 120 000 fusils, 1 000 mitrailleuses, 500 mitrailleuses légères, 100 canons antichars de 37 mm, 300 canons de 75 mm, 150 canons de campagne et obusiers de différents calibres et 200 canons AA de 76 mm. Ces armes devront être payées par le gouvernement français avant le 30 juin. Ce gouvernement doit par ailleurs acheter 500 chars M2A2 à leur fabricant, Baldwin Locomotives (qui a reçu en 1939 une “commande d’ouverture” de 10 chars) ; enfin, il paiera d’éventuelles “charges d’accélération” si l’US Army décide de se procurer « d’urgence » de nouveaux chars auprès de cet industriel.

F.D. Roosevelt est critiqué avec véhémence par la presse isolationniste, qui prétend qu’il a « déshabillé l’US Army ». En réalité, l’argent français va permettre à l’armée des États-Unis d’accroître significativement ses achats sur l’année fiscale 1940-41.

Pour transporter ces armes vers l’Afrique du Nord le plus vite possible, le paquebot géant Normandie est mis à contribution et entame une longue série d’allers-retours avec les États-Unis. Capable d’embarquer jusqu’à 50 avions en caisses et 40 chars légers sur le pont, il peut faire le voyage Halifax-Casablanca à près de 30 nœuds. Son premier chargement sera notamment composé des chasseurs B-339 destinés au Béarn.

L’achat d’armes aux États-Unis n’est en fait pas une nouveauté : mille canons de 75 et près d’un million d’obus ont déjà été déstockés et embarqués le 11 juin à bord du cargo Pasteur à destination de Bordeaux. Le 16 juin, le Général De Gaulle a ordonné de détourner le bateau vers l’Afrique de Nord.

Plymouth

18h00 – Après une traversée éprouvante, zigzaguant pour éviter la Luftwaffe et les U-Boots, le convoi amenant la 7e D.I. belge de Lorient arrive à Plymouth. La totalité des 6 500 hommes ont pu être sauvés, et la division est dirigée vers le Centre de Regroupement des Militaires Belges à Temby. Decarpentrie contacte aussitôt le ministère de la Défense Nationale à Sauveterre-de-Guyenne (grâce au téléphone du café du lieu…) pour annoncer fièrement la réussite de l’opération, « avec des moyens de transport exclusivement belges. » À l’annonce de cette nouvelle, les derniers sceptiques du Gouvernement se rendent soudain compte des capacités dont dispose encore la Belgique, et commencent à élaborer les plans les plus fous !

Bataille de France

Brest et Nantes tombent.

Saumur est prise, après une vaillante défense des élèves officiers de l’École de Cavalerie : c’est le dernier combat du Général Weygand…

Au nord de la Loire, la Xe Armée ne compte plus que des débris. Le groupe Petiet et le groupement La Laurencie sont passés au sud du fleuve, et se sont mis sous les ordres du Général Héring.

À l’est, les troupes allemandes venues d’Alsace font leur jonction avec celles remontant par le Jura. Il y a encore des affrontements autour de Toul.

Au sud-est, l’Armée des Alpes reçoit la mission de retarder l’avance des troupes allemandes dans la vallée du Rhône (coincée entre le piedmont des Alpes et le Massif Central, elle constitue une zone très favorable à la défense), tout en continuant à bloquer les forces italiennes dans les cols alpins. Le Général Orly est placé sous les ordres directs du GQG, réinstallé à Montauban, afin de permettre une étroite coordination de ses opérations avec celles des autres armées.

Le Général Charles Delestraint reçoit le commandement de ce qu’il reste de forces blindées et crée des groupements ad hoc à partir des débris des DCR et des DLM (les dernières DLM ont été créées à partir des DLC). Déjà proche, avant la guerre, des idées de De Gaulle (précédemment lancées par Estienne) concernant l’emploi des forces blindées, il avait été chargé de réorganiser la production de chars pendant l’hiver 1939-1940.

Saint-Nazaire

Au petit matin, après une course contre la montre pour installer la propulsion, la tourelle quadruple avant et une partie de l’artillerie secondaire et de la DCA, et alors que les Allemands sont aux portes de la ville, le cuirassé Jean-Bart, en construction aux chantiers Caquot, réussit de justesse à prendre la mer, grâce à l’action mémorable du lieutenant de vaisseau Ronarc’h et d’une poignée d’hommes d’équipage. Il s’échoue partiellement, puis il est attaqué sans résultat par trois bombardiers allemands, mais ne reçoit qu’une bombe de 100 kg qui ne fait qu’égratigner sa cuirasse. Peu après, la Luftwaffe est probablement induite en erreur par le Voltaire, échoué depuis 1936 au large de la presqu’île de Rhuys (Morbihan), pour servir de cible aux exercices de tir de la Marine et de l’Aéronavale. Des habitants de la presqu’île de Rhuys affirmeront que l’ancien cuirassé a été bombardé à plusieurs reprises au cours du mois de juin par des avions allemands, qui ont peut-être cru viser le Jean-Bart.

À 06h30, le Jean-Bart est rejoint par deux torpilleurs qui l’escortent et, à 11h00, il accoste au pétrolier Tarn pour ravitailler en eau et en mazout. À 18h00, le cuirassé fait route sur Casablanca. Malgré quelques incidents techniques, il réussit à filer 24 nœuds.

Également en construction à Saint-Nazaire, la coque du porte-avions Joffre est abandonnée (elle est achevée jusqu’au pont principal), ainsi que de plusieurs petites unités (voir annexe 40-2).

Ports français d’Aquitaine

L’évacuation des 7 500 hommes de l’Aéronautique Militaire belge et de son CRI commence. Les malles de la Mer du Nord sont toutes mises à contribution, sous la protection des bâtiments de la Royal Navy. Les centaines de pilotes évacués vers la Grande-Bretagne seront d’une grande utilité lors de la Bataille d’Angleterre. En accord avec les Français, six pilotes du I/3 Aé. belge ont été désignés pour suivre un entraînement sur Goéland, en vue de leur lâchage sur LeO-451, sous la direction du Lieutenant Philippart. Ils auront l’occasion de se distinguer lors de la campagne de Libye.

Finalement, il a été décidé de laisser en France :

le personnel nécessaire au convoyage vers l’Afrique du Nord des quelques avions survivants de l’Aéronautique Militaire qui pourraient s’avérer utiles, d’une façon ou d’une autre…

la petite escadrille de 5 Fiat CR-42, basée à Bordeaux-Mérignac. Elle sera sacrifiée dans les combats de retardement, en s’opposant notamment aux bombardiers allemands attaquant le port de Bordeaux.

environ 500 hommes des Ateliers Aéronautiques Belges. Mis au travail dans l’industrie française à Bordeaux et Toulouse, ils seront évacués en même temps que leurs collègues français.

Bordeaux – Hôtel de la Préfecture

09h30 – L’état-major français est informé que les Britanniques viennent de décider d’envoyer un grand convoi (40 navires) vers Alexandrie. Ce convoi doit quitter l’Angleterre le 8 juillet. Le Royaume-Uni demande le soutien de la Marine Nationale et de l’Armée de l’Air pour garantir au convoi de passer sans encombre le Détroit de Sicile. En réponse, les Français informent les autorités britanniques que trois cargos rapides se joindront à ce convoi au large d’Oran, avec du matériel et des munitions pour installer en Egypte trois Groupes de Bombardement léger et deux de Chasse.

Il est convenu que les Britanniques attaqueront la Libye le 15 août. Jusque là, les forces françaises doivent attaquer, sans rechercher une percée immédiate, mais pour empêcher les Italiens de renforcer leurs positions, les forcer à dégarnir leur front est, épuiser leur stocks de munitions (pour l’artillerie lourde notamment) et leur interdire de recevoir des renforts par le port de Tripoli.

L’AC1 sera la seule unité à utiliser le D-520 en opérations hors de France métropolitaine jusqu’au mois de septembre, car tous les D-520 doivent être “mis en réserve” dès leur arrivée en Afrique du Nord, entre autres parce qu’il faut encore monter sur un bon nombre d’avions certains équipements militaires pour qu’ils soient pleinement opérationnels.

La protection de Malte est renforcée. L’escadrille AC1, qui vient de toucher 13 Dewoitine 520 à Toulouse-Francazal, doit s’ajouter l’AC2 (avec 15 Potez-631). De plus, l’escadrille T2 doit s’ajouter à la T1 (soit en tout 18 Laté 298). Ces forces s’ajoutent aux escadrilles B1 et B3 (12 bombardiers Martin-167 chacune) et au groupe de chasse de l’Armée de l’Air sur Hawk-75 (20 avions).

11h00 – De Gaulle, Dautry et Blum organisent un comité interministériel spécial chargé d’accélérer la production de matériel militaire jusqu’à ce que les Allemands approchent, puis l’évacuation des ouvriers et la destruction des usines. Le système industriel est paradoxalement en pleine accélération, avec une étonnante augmentation des chiffres de production hebdomadaire. Lorsque c’est possible, on continue sur les stocks existants (qui représentent en général deux à trois mois de production).

14h00 – Avec le soutien de Mandel (et peut-être sur son instigation), De Gaulle autorise tous les Républicains espagnols âgés de 18 à 40 ans présents en France à s’engager dans la Légion Étrangère. Plus de 250 000 hommes, dont 110 000 anciens soldats, avaient en effet été internés en 1939 dans des camps du sud de la France. En juin 1940, la grande majorité des vétérans sont employés dans la région, dans l’industrie ou l’agriculture, ou dans des unités de travailleurs de l’armée, aussi une vaste campagne de recrutement est-elle organisée auprès d’eux. Les grades acquis dans l’armée républicaine espagnole sont le plus souvent reconnus, à un niveau près (les commandants reçoivent le grade de capitaine, par exemple). La citoyenneté française est conférée aux engagés dès leur enrôlement (et non au bout de cinq ans de service, comme d’habitude), tandis que leurs familles (qui pouvaient craindre d’être renvoyées en Espagne par des Allemands vainqueurs et désirant faire plaisir à leur ami Franco) sont évacuées vers l’Afrique du Nord.

« Il faut signaler que nombre des Espagnols engagés en juin 1940 dans la Légion Étrangère ne remplirent pas à l’époque les formulaires de naturalisation immédiate, soit parce que ces formulaires ne leur parvinrent jamais dans le chaos administratif de ces semaines terribles, soit, pour beaucoup d’entre eux, parce qu’ils entendaient bien rentrer en Espagne les armes à la main une fois l’Allemagne vaincue. » (Pedro Valero, Neutre et combattante – L’Espagne dans la Seconde Guerre Mondiale, 1999, Barcelone)

À ces incitations personnelles, officielles, s’ajoutent des propositions politiques, officieuses, faites au Premier Ministre du gouvernement républicain en exil, Juan Negrin, à l’ancien Président de la République, exilé en France, Manuel Azañas, ainsi qu’au Président de la Généralité de Catalogne, Lluis Companys i Jover. « Oui, va expliquer en substance Léon Blum, chargé des négociations en tant que Vice-Président du Conseil et aidé par Pierre Cot, le gouvernement français reconnaît les erreurs des années 1936-1939. À titre personnel, je plaide coupable. Nous n’avons pas su entraîner notre pays au secours de la République espagnole, mais nous n’avions, et nous n’avons toujours, aucune sympathie pour Franco. Cependant, dans la situation actuelle de la France, il serait contre-productif et même dangereux de devoir nous battre en Afrique du Nord à l’ouest contre les franquistes, alors que nous allons attaquer à l’est les Italiens. La priorité est et doit être la défaite de l’Axe. Ensuite, les comptes se règleront et le tour de Franco viendra. » Les responsables politiques républicains réfugiés en France, qui sont socialistes ou radicaux (les communistes sont à Moscou), ne peuvent refuser l’offre transmise par Léon Blum, dont la logique militaire est évidente. Dans leur position, ils n’ont pas vraiment le choix.

Au sud des Pyrénées, le Caudillo Francisco Franco, mis au courant par ses espions des négociations franco-espagnoles officieuses, n’est pas si mécontent qu’on pourrait le croire. Des dizaines de milliers de soldats républicains vont s’enrôler sous le drapeau français ? Très bien, ils iront se faire tuer par les Allemands et les Italiens. Cependant, Franco prend soin de faire savoir à Paul Reynaud que l’Espagne franquiste considérerait comme un casus belli que le gouvernement français reconnaisse le gouvernement républicain en exil dirigé par Companys. « Il est évident que nous n’en avons pas l’intention, lui fait aussitôt répondre Reynaud, de même que, bien entendu, vous n’avez aucune intention d’ouvrir vos frontières à l’armée allemande, si d’aventure Hitler vous le demandait. »

Mais cette négociation n’est pas pour Franco la seule raison de ne pas accabler les Alliés. Pour les Américains et en particulier pour Roosevelt, la défaite de la France en mai-juin est une catastrophe, et la perspective d’un armistice un véritable cauchemar. L’administration américaine est bien décidée à tout faire pour favoriser la poursuite de la lutte en Afrique du Nord, y compris mettre de côté son hostilité à Franco pour le pousser, si besoin à coups de dollars, à accepter l’accord officieux que lui propose Reynaud.

Ainsi Franco, lors de ce terrible été 40 et dans les mois qui vont suivre, fera la sourde oreille aux propositions de Hitler (ou, ce qui revient au même, posera des conditions exorbitantes à son aide éventuelle).

Bordeaux

Quelque peu inspiré par les discours français des deux jours précédents, le Premier Ministre belge Pierlot prononce une allocution radiodiffusée sur les ondes françaises.

« Belges ! Ces derniers jours, de nombreux événements sont venus semer le trouble et la confusion dans les esprits. Devant la dégradation de la situation militaire en France, certains esprits négatifs ont prôné l’abandon de la lutte. Aujourd’hui, ces atermoiements n’ont plus lieu d’être, les volontés se sont raidies et les défaitistes écartés.

Le gouvernement français remanié a réaffirmé avec la plus belle éloquence son intention – quoi qu’il en coûte – de poursuivre la guerre, et de la gagner. Et même si la situation militaire en France métropolitaine paraît compromise, le France conserve un vaste Empire d’où elle continuera le combat avec la Grande-Bretagne, toujours maîtresse des mers.

Le Gouvernement belge a décidé de rejoindre Londres, dans la ferme intention de poursuivre avec nos Alliés la lutte pour la libération du pays. Il y rejoindra les gouvernements des autres nations – hélas nombreuses – qui attendent leur délivrance du joug infâme de l’Occupation : la Pologne, la Tchécoslovaquie, la Norvège, les Pays-Bas et le Grand-Duché de Luxembourg.

Ce combat, la Belgique ne le mènera pas à mains nues. Déjà, l’évacuation de nos forces armées repliées en France est en cours. Notre marine marchande, en coopération avec les forces navales alliées, contribue avec courage et abnégation au succès de cette opération. Notre vaillante jeunesse de la réserve de recrutement, qui a répondu avec ardeur à l’appel de la patrie pour se soustraire à l’ennemi, ne sera pas oubliée. Enfin, nous pouvons compter sur notre Congo et ses immenses ressources.

Chers compatriotes, les épreuves seront longues et douloureuses, avant que nous puissions à nouveau fouler, libres, le sol de notre chère patrie. Mais le droit est de notre côté. Nous triompherons ! »

Bordeaux – À bord du Baudouinville

En coordination avec les services de la Marine Nationale et de la Royal Navy, et en liaison avec la direction de la Compagnie Maritime Belge réfugiée à Londres, le Ministère de la Défense Nationale belge planifie les évacuations. Cet effort est en quelque sorte une représentation à échelle réduite de la tâche à laquelle s’attaquent au même moment les services français.

Les priorités d’évacuation sont fixées comme suit :

Les moyens d’évacuation sont affectés comme suit :

Laeken (résidence forcée du roi Léopold III)

Le Roi reçoit le président du Parti Ouvrier Belge, Henri De Man, à qui il a demandé de prendre le pouls de l’opinion dans le pays. De Man présente au Roi un projet de programme prévoyant une véritable restructuration politique de la Belgique.

Le Roi écoute attentivement ce programme. Puis : « Je vous remercie, Monsieur De Man. Renforcer l’exécutif, affaiblir les partis, calmer les griefs flamands… Il y a certainement dans ces fort intéressantes considérations des éléments qui pourront éclairer les choix que nous devrons opérer une fois la guerre terminée. »

Mais De Man insiste : « Sire, faut-il attendre la fin de la guerre pour mettre en œuvre ce programme ? Dans notre malheur, cette guerre a au moins un côté positif : tout le système plouto-particratique qui minait la nation s’est effondré. Il faut profiter de cette occasion historique ! »

Léopold III : « Vous savez que mon état de prisonnier de guerre me met dans l’impossibilité de poser le moindre acte politique. Je ne peux rien faire tant que le territoire de la Belgique est sous occupation étrangère. »

De Man : « Révoquez au moins ces ministres félons qui Vous ont outragé. Ce n’est pas l’avis improvisé de juristes de rencontre qui doit entraver l’action de Votre Majesté ! »

Léopod III : « J’entends respecter scrupuleusement l’ordre constitutionnel, Monsieur De Man. Et puis… »

De Man : « Et puis ? »

Léopold III, pensif : « Avez-vous entendu les discours à la radio française ces derniers jours ? En particulier, celui du nouveau ministre de la Guerre m’a vraiment impressionné ; j’avais entendu parler de ce De Gaulle et de ses idées sur les blindés avant la guerre, mais il semble qu’il ait aussi l’étoffe d’un politique de bonne souche. D’ailleurs, n’est-il pas d’une famille du Nord de la France, fort proche de la Belgique… Dans leur malheur, qui n’est guère moins grand que le nôtre, il semble que les Français soient parvenus à une union nationale. Pourtant, ce – comment dire – ce sursaut, je ne les en croyais plus capables. Pour moi, depuis la percée allemande à Sedan, ils étaient perdus ! Quelle panique pendant tout ce mois de mai, c’était pitoyable ! Hé bien, je dois revoir mon jugement. Le dos au mur, ils n’ont pas cédé. Il est clair qu’ils vont se battre comme des lions à partir de leur Empire, et les Anglais ne leur manqueront pas. Cette guerre va durer longtemps, Monsieur De Man ! Même si, comme mon père, je regrette le sang qui sera versé du fait de tous les jusqu’au-boutistes, elle ne se terminera pas par une paix de compromis. Dans cette perspective, je me dois de préserver, autant que je le puis, l’unité et l’honneur du pays. Au revoir, Monsieur De Man. »

Méditerranée

L’escadrille 3S6, basée à Aspretto (Corse) entame des patrouilles armées sur la côte est de la Corse et au nord de la Sardaigne ; ses six vieux Levasseur PL-15 sont renforcés dans la journée par trois Laté 298 envoyés de Karouba. Deux autres escadrilles sur Laté-298 (HB1 et HB2) patrouillent à l’ouest de la Sardaigne pour protéger le trafic naval entre l’Afrique et la France.

Les sous-marins français et britanniques commencent à effectuer des missions d’interdiction pour couper la Sardaigne et l’Afrique du Nord de l’Italie continentale. Dans le cadre d’une de ces missions, le sous-marin britannique Orpheus est coulé au nord de Tobrouk par le destroyer italien Turbine. Les sous-marins italiens ne restent pas inactifs : le Fieramosca patrouille devant les côtes françaises, mais il est victime de l’explosion d’une batterie d’accumulateurs et doit regagner sa base.

Jérusalem

Le Proche-Orient des Français n’est autre que le Moyen-Orient, Middle-East, des Anglais.

Le Général Sir Archibald P. Wavell (chef des forces armées du Commonwealth au Moyen-Orient) reçoit l’Air Marshal Longmore (son adjoint pour l’aviation), le Général Mittelhauser (chef des forces françaises au Proche-Orient) et le Général Jeaunaud (qui commande les unités de l’Armée de l’Air dans la région). « Nous sommes quatre, Gentlemen, observe Wavell, que diriez-vous d’un bridge ? »

L’Armée française en Syrie et au Liban compte trois divisions d’infanterie (86e DI, type Outre-Mer, catégorie A ; 191e et 192e DI, type OM, cat. B) ; la Brigade d’Infanterie de Montagne des Carpathes (polonaise) ; les 631e et 632e Bataillons de Chasseurs ; les 63e et 68e Bataillons de Chars de Combat (45 et 50 R-35), le 8e Groupes d’auto-mitrailleuses (40 AMD Whyte), le 3e Groupe d’Exploitation, le 4e Régiment de Spahis tunisiens (monté) et le 325e Régiment d’Artillerie lourde (24 x 105 et 155 mm). Il faut y ajouter des unités coloniales spéciales : “cavalerie” tcherkesse et circassienne, forces de police, recrues locales…

Cette conférence est restée dans l’Histoire comme “la Partie de Bridge de Jérusalem”, mais les seules cartes utilisées y sont des cartes d’état-major, pour la première ébauche d’intégration tactique et stratégique alliée sur un théâtre d’opérations. Dans cette intégration, les unités françaises sont nettement moins nombreuses que celles du Commonwealth, mais leur équipement est souvent plus moderne.

Le Général Wavell est d’abord et avant tout préoccupé par la faiblesse de la RAF en Égypte et en Palestine. Une patrouille double de Morane 406 (six avions) va donc être envoyée à Alexandrie pour protéger la Flotte, et une autre sera stationnée à Haïfa pour protéger les raffineries. Neuf Martin-167 et six Potez 63-11 seront basés au Caire-Ouest pour appuyer les troupes britanniques et les unités françaises envoyées en renfort.

Les quatre hommes décident en effet de transférer en Égypte le 63e Bataillon de Chars de Combats (BCC), soit 45 R-35 et 80 autres véhicules, pour soutenir la 8e Armée britannique face aux Italiens. Les R-35 sont considérés comme de bons véhicules pour le soutien rapproché de l’infanterie, grâce à leur blindage (40 mm de face et sur les flancs) et à leur armement (un 37 mm court et une mitrailleuse) ; mais ils manquent de capacité antichar.

Officier de l’Armée de Terre, Mittelhauser néglige le fait que la Marine Nationale a détaché au Levant trois destroyers (Le Fortuné, Forbin, Basque), six sous-marins (Dauphin, Espadon, Phoque, Achéron, Actéon, Protée), deux avisos de première classe (Élan, Lassigny). Ces unités, stationnées à Beyrouth, vont recevoir l’ordre de gagner Alexandrie, où se trouvent déjà, aux côtés de la flotte britannique, le cuirassé Lorraine, les croiseurs lourds Duquesne et Tourville et les croiseurs légers Suffren et Duguay-Trouin. Destroyers et avisos ne feront pas le voyage sans emmener quelques centaines de passagers de l’infanterie légère.

Le Général Mittelhauser en est bien conscient. Il explique à Wavell que d’ici mi-juillet, si quelques bateaux peuvent être affectés au transport des forces françaises de Beyrouth en Égypte, il pourra ajouter aux R-35 du 63e BCC deux bataillons d’infanterie légère, un escadron de “Cavalerie Tcherkesse” (en fait, de l’infanterie en camions), le 8e Groupe d’auto-mitrailleuses, deux batteries de canons de 47 mm antichars tractés par camions, une batterie d’obusiers de 155 mm (4 canons) tractés par camions et une batterie de cinq canons de 75 mm montés sur des camions Dodge (ce “bricolage” local a été baptisé “les canons du Capitaine Bich”). Ces unités seraient placées sous commandement britannique.

Si les Français continuent de pouvoir disposer des transports, il devrait être possible dès le 14 juillet d’aligner sur la frontière égypto-libyenne, la 86e DI et le 325e Rgt d’Artillerie.

La 191e DI pourrait être disponible à partir du 15 août. Elle pourrait être utilisée soit en Libye, soit – à condition de pourvoir à son transport – contre l’Afrique Orientale Italienne.

La 192e DI et la Brigade de Montagne polonaise pourront être gardées en réserve pour l’invasion de Rhodes ou être déployées à Chypre en avance de phase, avec une compagnie de chars (13 chars R-35). Enfin, au moins deux bataillons d’infanterie légère peuvent être constitués d’ici fin septembre à partir d’un recrutement dans la population locale (Druze notamment).

Ces mouvements ne laisseront pas la région sans protection : ils ne concernent que le corps expéditionnaire prépositionné sur place quelques mois plus tôt pour être prêt à soutenir… la Roumanie, si elle avait décidé de se ranger dans le camp allié…

Mer Rouge

Le sous-marin italien Galileo Galilei, en patrouille au large d’Aden, est canonné puis capturé par le chalutier armé britannique Moonstone. Les Anglais mettent la main sur les codes et documents opérationnels, localisant ainsi précisément les autres unités italiennes de la région.

Moscou

L’URSS envoie un ultimatum à la Lettonie et à l’Estonie.

20 juin

Washington

Le Président Roosevelt renforce son cabinet avec deux éminents Républicains. Henry Stimson devient secrétaire à la Guerre et Frank Knox devient secrétaire à la Marine. Stimson est fortement opposé à la tradition isolationniste américaine et sera un champion de la loi Prêt-Bail.

Ces hommes seront les partenaires naturels de Pierre Cot. Sitôt conclu l’accord avec les Espagnols, celui-ci doit en effet se rendre aux États-Unis, avec mission de formaliser l’achat d’armes accepté la veille par Roosevelt et d’aller encore plus loin – il faut des camions, des avions et des matériels de toutes sortes. Le gouvernement américain accepte sans difficulté les demandes du gouvernement français visant les importants stocks d’armes de l’US Army, qui datent de 1918-1919. Ces armes sont considérées comme obsolètes par les militaires américains, qui les vendent volontiers – moyennant paiement immédiat.

Tous les cargos français présents sur la côte est des États-Unis reçoivent l’ordre de se concentrer à Norfolk pour y embarquer toutes ces armes.

Pierre Cot doit aussi voir plus loin. Il va conclure à Savannah, au nom de la France, l’achat de terrains destinés à la construction d’une usine de blindés, qui avait été planifiée dès le printemps 1940 et dont les travaux commencent aussitôt. Cette usine, qui devait produire le char moyen Somua S-35 (dans sa version S-40) sera chargée d’en produire une “évolution” intégrant des composants américains et dotée d’une caisse élargie pour accepter une tourelle biplace, à la demande du Général Delestraint, futur Inspecteur Général des Blindés.

Avant même son arrivée aux États-Unis, Pierre Cot câble aux représentants français de signer avec le Capitaine-Commandant Deweer (qui a reçu des instructions en ce sens de l’Ambassadeur extraordinaire Georges Theunis, responsable de tous les achats d’armes de guerre belges aux États-Unis) une transaction portant sur les 40 Brewster B-339 (Buffalo modifiés), déjà achevés ou en cours de fabrication, commandés par la Belgique avant l’invasion. Ces appareils (dont cinq sont déjà en route vers l’Afrique du Nord sur le pont du Béarn) devaient être dénavalisés. Une fois rachetés par la France, ils seront pour la plupart re-navalisés in extremis afin de pouvoir servir sur le Béarn.

Londres – Villeneuve-sur-Lot – Sauveterre-de-Guyenne

Les membres du Gouvernement belge arrivent à Londres à 00h30, à bord de deux hydravions de la RAF. Seuls sont restés en France le ministre de la Défense Nationale, le Général Denis, et le ministre de l’Intérieur, Arthur Van der Poorten. Le premier, qui restera le temps de coordonner les opérations d’évacuation vers la Grande-Bretagne et l’Afrique du Nord, s’installe à la sous-préfecture de Villeneuve-sur-Lot. Le second, installé à Sauveterre-de-Guyenne, a accepté de se sacrifier pour s’occuper des réfugiés belges et de leur rapatriement quand les combats cesseront en France métropolitaine. Cette tâche aurait normalement dû échoir au Ministre de la Santé Publique, Marcel-Henri Jaspar, qui est en charge des réfugiés, mais il a obstinément refusé de rester en France, pour des raisons qu’on devine familiales.

Van der Poorten paiera chèrement son dévouement, puisqu’il sera déporté par les Allemands au camp de concentration de Bergen-Belsen ; il survivra cependant à la déportation, libéré par les Américains en 1944 dans un état de santé épouvantable.

Estonie

Le gouvernement estonien rencontre les envoyés soviétiques.

Mer de Norvège

Le croiseur de bataille allemand Gneisenau est sérieusement endommagé par des torpilles du sous-marin britannique Clyde au large de Trondheim. Il restera six mois à Kiel pour réparer.

La Rochelle

Le cargo grec Adamantios touche à son tour une mine et doit être échoué.

Bordeaux – Hôtel de la Préfecture

De Gaulle convainc le gouvernement d’accorder la pleine citoyenneté française à toutes les familles arabes dont un membre âgé de 18 à 35 ans s’engage dans l’Armée française. Plus facile sans doute à faire passer : les soldes seront désormais les mêmes pour les “Indigènes” et pour les (autres) Français. Dans les jours et les semaines qui suivent, l’afflux d’engagés est tel qu’il sera nécessaire de créer un grand nombre de nouvelles unités de tabors et de goumiers, sans parler des régiments de tirailleurs algériens, marocains et tunisiens.

Autre décision importante, mais tenue secrète : De Gaulle et Mandel décident en commun la création d’un Bureau Central de Renseignement et d’Action (BCRA), placé sous le commandement du Colonel Passy. Cet organisme est chargé de coordonner les futures actions de Résistance.

Bordeaux – Port

22h00 – Les malles du Congo Baudouinville et Thysville, les vapeurs Espagne et Lys, et les diesels Mar del Plata et Moero appareillent, avec à leur bord les parlementaires belges réfugiés en France (avec leur famille pour certains), les hauts fonctionnaires essentiels à la poursuite de l’activité du gouvernement et les familles de certains ministres. Ils sont rejoints à l’embouchure de la Gironde par le Katanga, qui se trouvait au Verdon. Les archives – du moins, celles qui ont pu être sauvées lors des déménagements successifs – sont embarquées elles aussi.

Bayonne

Le Colonel B.E.M. Res Bellefroid, commandant du 3e CRI d’infanterie, est nommé commandant de place belge à Bayonne pendant la durée de l’évacuation. Avec son petit état-major, il va s’installer à Anglet dans la villa occupée par le Gouverneur de Flandre-Occidentale, Hendrik Baels, et sa famille.

Pont-Saint-Esprit

Devant l’avance allemande dans la vallée du Rhône, le Général-Major Lambert, commandant du CRI des Chasseurs Ardennais, reçoit du Lieutenant-Général Wibier, commandant des troupes belges en France, l’ordre de préparer la défense des cantonnements de CRI. Aussitôt, Lambert fait prendre position sur une ligne de défense le long de l’Ardèche et ordonne de préparer les destructions, avec la même minutie qui avait été de mise lors de l’invasion de la Belgique le 10 mai. Dix-huit jours plus tard, après Bodange, Martelange et Chabrehez, le 7e Chasseurs Ardennais va écrire une nouvelle page de gloire dans l’histoire de cette jeune arme.

Lunel

Le Colonel de réserve Matthieu, commandant du CRI des Troupes Légères belges, reçoit l’ordre de mettre ses troupes en état de défense le long de la Vidourle.

Méditerranée Occidentale

Les Laté 298 des escadrilles T3 et T4, escortés par les chasseurs du GC III/6, poursuivent leurs attaques des communications ferrées et routières entre Gênes et la frontière, le long de la côte, tandis que l’aviation italienne se contente d’effectuer une mission de reconnaissance au-dessus de la frontière avec les Alpes maritimes.

La Marine Nationale assure la protection des convois qui font la navette entre l’Angleterre et l’Afrique du Nord et entre les deux rives de la Méditerranée.

Au large de Tobrouk, le sous-marin britannique Parthian torpille et coule le sous-marin italien Diamante.

Mers-El-Kébir

Le cuirassé Richelieu commence ses essais de mise au point.

Afrique du Nord

L’Armée de l’Air prépare son offensive contre la Regia Aeronautica en Libye. En raison du fait qu’il est nécessaire d’économiser le matériel et que les échelons au sol de la plupart des unités dont les avions viennent de traverser la Méditerranée ne sont pas encore arrivés en Afrique du Nord, il est possible d’engager : quatre Groupes de Chasse équipés de Curtiss H-75 (plus un cinquième dix jours plus tard), six GC sur MS-406, deux GC sur Potez 631, six Groupes de Bombardement équipés de Martin-167, cinq sur LeO-451, deux sur DB-7, un sur Farman 223.3 (le GB II/5, avec 12 avions opérationnels) et neuf Groupes d’appuis au sol sur Potez 63-11 et 631. Deux Groupes de Reconnaissance ont été formés sur MB-174/5 et sur Amiot 351/4 pour la couverture lointaine du théâtre des opérations. L’Armée de l’Air engagera ainsi 860 avions, dont 646 opérationnels, à la veille de l’offensive.

C’est bien supérieur à ce que les Italiens peuvent mettre en ligne en ASI (voir annexe 40-4). Au 20 juin, le Commandement de la Regia Aeronautica en Libye, basé à Tripoli, n’aligne que 301 avions (90 chasseurs : 38 Fiat CR-32 et 52 Fiat CR-42, 103 bombardiers : 83 SM-79 et 20 SM-81, 34 avions d’appui au sol : 23 Ca-310bis et 11 Ba-65, 91 avions de reconnaissance : 59 Ca-309 et 32 Ro-37bis).

« L’inquiétude de Sir Wavell à propos de la puissance aérienne italienne n’était pas justifiée par l’état de la plupart des unités de l’aviation du Duce – encore que le commandement allié l’ignorât à cette époque, et que l’Armée de l’Air se lançât dans l’inconnu. Les unités de chasse sur Fiat CR-32 commençaient seulement à se rééquiper en Fiat CR-42, et tout le programme avait pris du retard en raison des problèmes survenus avec le tout nouveau Macchi MC-200. L’avion avait subi fin avril deux accidents mortels inexpliqués et avait été provisoirement interdit de vol. Les ingénieurs de chez Macchi avaient fini par relier ces accidents à un vicieux décrochage des extrémités d’aile, et le problème allait être corrigé assez vite, mais l’avion – de loin le plus moderne de la Regia Aeronautica – n’allait pas pouvoir être remis en service opérationnel avant la fin du mois de juillet. Ces ennuis avaient provoqué une profonde désorganisation de la chasse italienne, et le rééquipement des escadrilles de chasse basées en Afrique (Libye et Afrique Orientale) en avait beaucoup souffert. Mais il y avait peut-être pire du côté des bombardiers : le meilleur appareil en service dans l’aviation italienne, le bombardier trimoteur Savoia-Marchetti SM-79, manquait de pièces détachées, de munitions et même de bombes.

Ces facteurs expliquent la relative passivité de la Regia Aeronautica en Africa Settentrionale Italiana. Après la guerre, certains historiens ont écrit que les escadrilles italiennes avaient été inférieures aux forces alliées durant l’été 1940 en raison de leur manque d’initiative et d’agressivité. Un tel jugement est dans une large mesure biaisé, même si les réactions du haut commandement italien étaient lentes et prévisibles. En réalité, le principal problème posé aux forces aériennes italiennes en ASI fut qu’elles n’étaient pas prêtes à la guerre quand Mussolini décida d’entrer en guerre au côté de l’Allemagne et que le poids combiné des forces navales et aériennes des Alliés leur interdit très rapidement toute possibilité de renforcer les unités déjà déployées sur le continent africain.

L’Armée de Terre n’était d’ailleurs pas mieux lotie. Elle n’avait que très peu de canons anti-chars (par ailleurs peu efficaces contre le blindage des chars français R-35, H-39 et D1), l’artillerie manquait de munitions, les troupes manquaient d’entraînement…

Si la France avait cessé le combat en juin 1940, il est tout à fait possible que les forces italiennes en Afrique aient pu être substantiellement musclées en ravitaillées, au point de pouvoir lancer une offensive contre l’Égypte au mois de septembre. Mais en septembre, le sort de l’ASI était réglé. Comme le Maréchal Italo Balbo devait l’écrire dans son ultime lettre à son épouse : “Le Duce nous a abandonnés, nu-pieds et sans défense, face à deux armées ayant l’expérience de la guerre moderne, avec un matériel tout juste bon pour combattre les Senussis et juste assez de ravitaillement pour nous faire tuer dans l’honneur. Puisse-t-il être damné, lui et tous ses valets pro-allemands.” » (Patrick Falcon, Histoire de l’Armée de l’Air dans la Deuxième Guerre Mondiale, Ed. Larivière, Paris, 1999)

L’aviation italienne ne pourra pas grand-chose pour empêcher l’Armée de l’Air de s’attaquer aux installations logistiques de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque, à commencer par Tripoli et Benghazi. Celles-ci sont très limitées ! Il n’y a à ce moment à Tripoli que cinq postes d’amarrage pour des cargos, quatre pour des transports de troupes et un (oui, un seul) pour un pétrolier. À Benghazi, les chiffres sont de trois pour des cargos et deux pour des transports de troupes ; il n’y a pas de dépôt de carburant et il faut jusqu’à quatre semaines pour décharger un pétrolier. À Tobrouk, il n’y a que des grues légères et, comme à Benghazi, trois postes d’amarrage pour des cargos et deux pour des transports de troupes. Le long du golfe de Syrte, il n’y a rigoureusement aucun port. Or, ces médiocres installations logistiques, qui seules pourraient permettre aux troupes de Libye de recevoir des renforts, sont pour la plupart à portée des bombardiers français, et les autres sont à la merci des avions anglais…

Alexandrie

Les Amiraux Cunningham (Royal Navy) et Godefroy (Marine Nationale) mettent au point un plan d’interdiction du trafic maritime entre l’Italie et l’Afrique du Nord.

2/2